L’élevage porcin français, après une courte embellie entre
2016 et 2017, a renoué en 2018 avec une situation de crise, probablement plus
grave que celle de 2015.
Les cours de base du kg/carcasse TMP 56 au Marché au Cadran
de Plérin, qui fixe le prix de la plupart des transactions entre opérateurs en
France, sont restés désespérément bas.
Moyenne sur l’année : 1,196 € le kilo-carcasse, soit le plus bas
constaté depuis 2010 et en retrait de près de 14% sur l’année précédente (2017).
De plus, ces cotations sont sensiblement en retrait avec
celles constatées chez nos principaux compétiteurs européens, danois, allemands
et espagnols, du moins pendant les mois d’été, les plus favorables.
En prenant en compte les primes de classement, les éleveurs
ont perçu environ 1,35 € le kilo-carcasse alors que le prix de revient dépasse
souvent les 1,45 €. Encore s’agit-il de
moyennes, cachant de grandes disparités entre élevages.
La diminution du nombre d’élevages va donc continuer et
l’installation de jeunes éleveurs, ou la reprise d’élevages suite à des départs
à la retraite, s’avèrent de plus en plus difficiles au vu de l'absence de rentabilité du secteur..
La seule explication rationnelle à cette situation, outre
une surproduction structurelle européenne récurrente, est l’inadaptation grandissante de l’offre
française face à une demande duale, à la fois très basique et compétitive en
prix pour les produits destinés à la transformation industrielle et l’export et
de plus en plus qualitative pour la viande fraîche et les produits élaborés destinés
au marché intérieur français.
La demande globale, au niveau européen, sur fonds de
diminution tendancielle de la consommation domestique, est très tributaire des
marchés à l’exportation, essentiellement vers l’Asie, et plus particulièrement
vers la Chine, ce qui avait permis la
reprise d’un marché très déprimé en 2016 et sorti temporairement l’élevage
européen de la crise où il était alors plongé.
Or la Chine, premier producteur et consommateur mondial
(environ la moitié de l’activité porcine), a fortement investi dans l’élevage
porcin ces dernières années dans le but non pas d’atteindre la complète autosuffisance
(elle manque notablement de terres arables pour produire l’aliment), mais de limiter sa dépendance.
Heureusement pour les producteurs excédentaires (UE 28, USA
, Canada et Brésil essentiellement), une épidémie sévère de peste porcine s’est
déclarée en Chine en 2018 obligeant à des abattages massifs, et redonnant
espoir aux éleveurs européens, avec des perspectives d'exportation et de remonté des cours.
Ce n’est pourtant pas gagné d’avance pour les éleveurs
français.
D’une part, de nouveaux compétiteurs sont apparus, qui
envisagent tous de fournir la Chine : Ukraine, Pologne, Russie, etc… qui
ont construit ces dernières années des filières de plus en plus compétitives,
souvent avec l’aide efficace d’opérateurs européens et américains. Il est vrai qu'eux aussi rencontrent des débuts d'épidémies de peste porcine, ce qui atteint directement leur capacité exportatrice.
D’autre part, l’issue des discussions commerciales en cours
entre Chine et USA est très incertaine,
ce dernier pays étant de longue date le plus dynamique concurrent du porc européen
sur les marchés asiatiques : pour l’instant, le marché chinois semble
fermé au porc américain mais cela pourrait faire partie de la négociation en
cours, surtout si la peste porcine gagne l'ouest de l'Europe et que les éleveurs américains restent les seuls exempts de cette épidémie.
Enfin l’élevage français, même en absence d'épidémie de PPA, n’est surement pas le plus
compétitif ni le plus organisé des élevages européens pour approvisionner le
marché asiatique. Les éleveurs et abatteurs allemands, espagnols, et danois
sont bien mieux organisés et implantés, et peut être même maintenant suivi par
les polonais.
Tout cela ne parait pas de très bon augure et de toute façon très imprévisible!
Les responsables de la profession paraissent depuis un ou
deux ans de plus en plus convaincus de
la nécessité d’une amélioration qualitative de l’offre, déja pour fournir la marché intérieur, qui sera l'ultime recours en cas de fermeture des marchés exports. Ils buttent
cependant sur plusieurs obstacles :
-
La rigidité de l’appareil d’élevage actuel,
archi-dominé par le modèle hors-sol intensif-bâtiment,
pour lequel beaucoup d’éleveurs sont encore lourdement endettés, et au travers
duquel sont élevés plus de 97% des porcs
en France, filières « de qualité », Label Rouge et « Bio »
compris. Seules, une partie de la production « Bio » et certains
Label Rouge Fermier pratiquent l’élevage en plein air, plus ou moins
extensif.
-
Sous cette contrainte, on peut certes diminuer
la densité de porcs au m2, par exemple, au nom du bien-être animal, faire
passer l’espace alloué aux truies de 1,2 m2 à 2,5 m2, leur donner accès à une
« courette » plus ou moins à l’air libre, de la paille ou de la
sciure comme litière, améliorer l’ordinaire en substituant au maïs d’autres
types de céréales, donner des jouets aux porcelets, etc… il faut toutes les ressources des
communicants pour faire coller tout cela avec les demandes nouvelles des
consommateurs les plus avertis, ceux qui accepteront de payer plus cher leur
viande, quitte à en consommer moins, à condition qu'elle soit issue d'élevages locaux, de plein air, produisant en filière courte une viande typée et goûteuse. En fait une partie non négligeable des
consommateurs de demain !
-
L’ensemble
des organismes de décision de la filière porcine, qui pourraient être
moteurs dans un changement de paradigme, sont aux mains des éleveurs conventionnels,
qui plus est essentiellement Bretons, ou de l’ouest, où se trouve le principal
complexe agro-industriel-porcin de l’Hexagone et cela ne facilite pas le
redéploiement de l’élevage porcin sur d’autres bases, dans d’autres régions qui
ont pourtant été de grandes régions charcutières et salaisonnières et qui pourraient
le redevenir.
C’est la raison pour laquelle cette « montée en gamme »
n’avance guère et reste surtout cosmétique.
Quant aux bienfaits des mesures issues des Etats Généraux de
l’Agriculture, ils se font attendre….
Les distributeurs et transformateurs ne trouvent pour l’instant que des produits d’importation
pour satisfaire ce type de clientèle solvable en produits transformés et presque aucun
fournisseur pour la viande fraîche.
C’est à eux, et aux responsables régionaux de l’agriculture,
de l’élevage et de l’aménagement du territoire, de se prendre en main et de
provoquer la création de nouvelles filières qualitatives, locales, courtes, responsables
sur le plan environnementale et porteuses de création d’emplois non
délocalisables.
A défaut de réaction de ce type, la filière porcine
française ne pourra que continuer à décliner.
Bonne année quand même !