La Corse produit une charcuterie d’une qualité reconnue : le prisuttu, le lonzu, la coppa, les figatelli ne laissent indifférents que ceux qui n’y ont jamais gouté.
Il est vrai qu’il est difficile de trouver ces produits en dehors de la Corse et que la plus grande partie de la production charcutière de l’ile prête à confusion si ce n’est à polémique à propos de l’appellation « charcuterie Corse ».
La qualité de la charcuterie corse est liée à deux facteurs :
- un savoir-faire perpétué par des générations de charcutiers-salaisonniers artisanaux, souvent installés en altitude, dans la montagne corse, là où l’air est à la fois pur et d’une hygrométrie stable.
- Une production locale de porcs de souche ibérique, dénommée « nustrale », élevés en liberté dans le maquis et la montagne, à croissance lente, abattus à environ 18 moins en hiver après avoir passé deux saisons en estives. Cette technique d’élevage se rapproche de celles pratiquées par les producteurs des fameux « pata negra ibérico » d’Estramadure et d’Andalousie.
Pour obtenir une véritable charcuterie corse, ces deux facteurs doivent en principe être cumulés: la charcuterie corse doit être confectionnée sur l’ile, selon les méthodes traditionnelles à partir de porcs élevés en Corse et de race Nustrale.
L’ensemble de la charcuterie corse commercialisée, soit environ 12 000 tonnes /an, est loin de correspondre à ces critères de qualité, pour de multiples raisons :
La production de porcs de race nustrale, ou du moins de porcs élevés en corse en liberté, peut être évaluée à environ 25 000 animaux, soit environ 1 500 tonnes de charcuterie. Les chiffres sont imprécis du fait de la dispersion de la production et de la transformation « à la ferme » entre de nombreux éleveurs qui ne sont pas tous organisés. Cela représente environ 10% de la production totale de charcuterie.
Porc nustrale en race pure, Alta Roca |
Les charcutiers-salaisonniers, industriels ou plus souvent gros artisans, doivent donc, pour satisfaire la demande, travailler des carcasses ou de la découpe de porcs en provenance de France ou d’Espagne, porcs de races conventionnelles élevés généralement en batterie et abattus à 6 mois. Cela n’est pas répréhensible en soit, et la transformation de ce type de viande par des fabricants corses selon les méthodes traditionnelles donne souvent des produits quand même assez typés.
Les difficultés proviennent essentiellement de l’identification des produits et de leur prix de vente : il est certain que l’imprécision d’étiquetage favorise la tromperie et la concurrence déloyale, au détriment surtout des éleveurs-transformateurs respectant la tradition... et des consommateurs qui ne savent pas ce qu’ils achètent.
Ceci étant posé, les réponses à apporter sont loin d’être simples, autant à concevoir qu’à mettre en œuvre.
D’abord, il faut se mettre d’accord sur la définition de la race Nustrale.
A l’initiative de quelques éleveurs passionnés, une démarche a été entreprise il y a plus de quinze ans qui a fini par déboucher sur sa récente reconnaissance officielle par la section porcine de la commission nationale d’amélioration génétique, sur la base de 25 lignées (mâles) et de 30 familles (femelles). 25 éleveurs-sélectionneurs travaillant en réseau sont chargés de fournir porcelets et reproducteurs. En théorie, la question est donc en voie de résolution. En théorie seulement car plusieurs problèmes sont apparus.
Certains des initiateurs du départ ont récemment quitté le groupement, trouvant que la sélection avait été trop rapide, rendant les lignées présentant des caractères peu stables dans la durée (taille, couleur, etc…).
Par ailleurs de très nombreux éleveurs pratiquants l’élevage traditionnel de plein air ne disposent pas pour l’instant de troupeaux suffisamment homogènes. Il suffit de regarder ceux-ci pour constater encore la présence de souches large- white, duroc ou autres. Cette présence est compréhensible et il est nécessaire de laisser du temps, sans doute une dizaine d’années, pour obtenir des élevages homogènes, si tant est que la volonté persiste.
Troupeau en liberté, de races mélangées, Vallée du Golo |
Enfin la maladie des châtaigniers, qui atteint gravement les forêts de l’ile, diminue la ressource alimentaire naturelle des animaux et oblige les éleveurs à acheter à l’extérieur de l’aliment en quantité croissante ce qui obère d’autant les résultats économiques.
Au niveau de la transformation, la situation est aussi complexe.
Une initiative collective a débouché en 2012 sur la reconnaissance de trois AOC concernant le prisuttu (jambon), le lonzu et la coppa sous la domination « charcuterie corse ». Le cahier des charges stipule que, outre la fabrication sur l’ile selon les techniques reconnues, la viande mise en œuvre doit provenir exclusivement de porcs de race nustrale élevés en plein air. De nombreux éleveurs, qui ne disposent pas encore de troupeaux homogènes, ne peuvent donc (ou ne veulent…) pas rentrer dans l’appellation. Ce ne sont pas nécessairement les plus mauvais. Sur 300 éleveurs insulaires, seuls 80 sont entrés dans la démarche AOC.
D’autres, trouvant la démarche trop contraignantes, ou seulement prématurée, se sont réunis autour d’une démarche « Label Rouge », qui aurait pour avantage de permettre la fabrication de charcuterie corse à partir de troupeaux non homogènes.
La difficulté est que l’utilisation de l’appellation « charcuterie corse » est réservée à l’AOC… et que l'obtention d'un Label Rouge est une démarche longue et demande une bonne entente.
Les salaisonniers quant à eux, qui fabriquent essentiellement à partir de porcs industriels élevés sur le continent, ont fait une demande d’IGP « charcuterie corse » qui couvrirait les produits élaborés en Corse à partir de viandes importées.
Bref, tout cela est assez compliqué, sur fond de particularisme et d’individualisme lié aussi aux distances à parcourir pour se rencontrer entre éleveurs, aller à l’abattoir, etc… sur des routes corses !
Cela illustre d’une certaine façon les limites des démarches de qualité avec reconnaissance officielle qui sont difficiles, longues et couteuses à obtenir et à mettre en place et qui s’imposent alors à tout le monde sur des bases souvent assez restreintes et exclusives.
Pourquoi alors ne pas se lancer, seul ou en petit groupe d’éleveurs homogènes et peut être aussi d'un abattoir et de charcutiers-salaisonniers, autour d’une certification privée accompagnée d’une marque commerciale ?
Les points les plus importants, concernant les races de porcs, les conditions d’élevage, d’alimentation, l’âge d’abattage, le mode de transformation traditionnelle, pourraient être garantis par une certification et promus par une marque collective, ce qui constitue une démarche plus rapide et moins couteuse.
Celle-ci permettrait de plus de faire évoluer plus facilement dans le temps les critères de certifications en fonction de l’évolution de l’environnement économique technique et commercial.
Sauveur découpe de fines tranches d'un fameux prisuttu |
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