samedi 15 août 2015

La fin programmée d’un modèle économique obsolète.



La filière porcine française (bretonne ?) est entrée ces derniers jours dans une crise aigüe.
Elle n’en sortira ni rapidement ni sans douleur.

Seuls les ignorants ou les cyniques peuvent prétendre qu’ils n’ont pas vu venir cette crise, seuls les hypocrites peuvent prétendre que la faute en incombe aux autres, bien évidemment, selon le cas : le gouvernement, l’Europe, les distributeurs, les industriels, les éleveurs, leurs organisations syndicales et professionnelles, etc….

Que la Cooperl, vaisseau amiral du porc breton, coopérative d’éleveurs (environ 2 700) censée représenter leurs intérêts et qui intervient à tous les niveaux de la filière, de la production d’aliment à la fabrication industrielle de produits élaborés, s’essayant même à la distribution directe, se retrouve sur les mêmes positions que l’entreprise privée Bigard, leader français de la viande, absent des activités d’élevage, cela peut surprendre : compétition européenne (et mondiale) oblige, le prix de la carcasse ne peut être fixé selon eux que par le marché libre, c’est-à-dire depuis plusieurs années largement en dessous de son prix de revient moyen dans l’élevage français, mais en phase cependant avec leurs concurrents espagnols ou allemands. Dans une logique d’abatteur-transformateur et d’exportateur, cette position est justifiée, mais dans celle d’une coopérative d’éleveurs….

Face à cette crise, les mesures annoncées par les pouvoirs publics sont incantatoires (il faut que tout le monde se mette autour de la table et s’entende !) et dérisoires (valorisons le porc français !) et celles proposées par les représentants de la profession largement démagogiques (baissons les « contraintes » sociales et environnementales, les charges fiscales, etc… !).

Cela signifie surtout que plus personne ne sait vraiment quoi faire à court terme, payant ainsi l’inertie et le manque de stratégie globale auxquelles tout le monde a participé, par conformisme, par routine et même par idéologie.

Le drame économique et social qui s’annonce dans l’ouest porcin (en même temps que le laitier, le bovin-viande et même le volailler) est très certainement du même ordre que celui connu dans l’est sidérurgique ces dernières décennies, avec des éleveurs sur endettés et en état de faillite et des outils industriels en sous-capacité et partiellement obsolètes.

Cette situation très grave résulte d’abord de l’absence de choix fait depuis au moins dix ans entre une stratégie de productivité recentrée sur quelques produits standards à bas coûts, (la carcasse de porc de 90 kg TMP 60) qui implique la mise en place d’élevages de grandes dimensions et de forte intensité capitalistique, et une stratégie de produits de haute qualité gustatives et environnementale, porteuse d’images et susceptible, elle, d’être supportée par des exploitations artisanales-familiales, regroupées éventuellement en coopératives ou autour de transformateurs industriels régionaux spécialisés, construisant des filière locales ou régionales.

Vouloir produire du porc industriel, sur une seule région (le grand ouest) pour toute la France, de façon compétitive avec des moyens artisanaux-familiaux sous capitalisés et modestement managés comme l’a prétendu, et le prétend encore, la quasi-totalité des responsables professionnels et en particulier ceux de leur syndicat majoritaire, est devenue une utopie mortelle dans un monde de plus en plus ouvert à la compétition économique.

Les producteurs alternatifs, ceux qui pratiquent le plein air, les races locales à croissance lente et même ceux qui se sont lancé dans l’élevage sous label bio, ont été systématiquement marginalisés et nullement soutenus mis à part quelques initiatives locales ou régionales. Pourtant une part de plus en plus importante du marché potentiel et de la valeur ajoutée qui va avec se trouve très certainement dans ces démarches.

Il est maintenant trop tard pour réagir dans l’urgence , ne serait-ce que pour sauver les meubles


Le renouveau de l’activité porcine en France, qui viendra un jour, se fera autour de deux axes :

- Celui de la compétitivité-prix (coût) avec quelques grandes exploitations naisseurs et naisseurs engraisseurs, très capitalisées, très techniques, pouvant assumer l’ensemble des savoir-faire nécessaires, y compris celui du retraitement des effluents. Ces exploitations seront à même de fournir en porcs standards les méga-abattoirs de l’ouest du pays, qui seront sans aucun doute aussi amenés à baisser leur voilure.

- Celui de la haute qualité gustative et environnementale (HQGE), élevages d’animaux à croissance lente en plein air extensif, nécessairement redéployés géographiquement sur l’ensemble du pays (ce n’est pas l’espace qui manque !), avec une maîtrise locale de la filière, de la fabrication de l’aliment jusqu’aux produits finis en portions consommateurs, autant pour garantir la traçabilité que pour permettre une juste répartition de la valeur ajoutée. Ces filières régionales pourraient donner un second souffle aux industriels locaux de la charcuterie et de la salaison, assoir des AOP et IGP crédibles et représenter à terme une vraie valeur à l’exportation.

Faute d’anticipation, une telle mutation ne se fera pas dans la joie et la bonne humeur.

Si l’on place le curseur, pour un élevage industriel, sur une moyenne (basse) de 800 truies par exploitation, cela conduit à la disparition des neuf-dixièmes des élevages existants, un certain nombre pouvant cependant continuer avec une seule fonction d’engraissement, si possible en complément d’autres activités, comme cela se voit en Espagne, où il n’est pas rare de rencontrer des ateliers naisseurs ultra-moderne de 2 000 à 3 000 truies. Les autres devront se reconvertir, ce qui est plus simple à dire qu’à faire vu l’endettement de bon nombre d’éleveurs et leur spécialisation professionnelle.

Toute mutation de cette importance demande de solides moyens. S’il parait possible, et même souhaitable, de laisser le financement privé investir dans les nouvelles formes d’activités, autant industrielles que HQGE, la collectivité publique devra nécessairement prendre en charge, en majeure partie et selon des procédures à imaginer, le coût de l’abandon et de la reconversion des éleveurs concernés. Cela représentera une charge très importante mais préférable à la distribution en saupoudrage d’aides à la survie qui ne feront que reporter les réelles décisions à plus tard et enfoncer encore la compétitivité de « la ferme française » dans ce secteur.

Pour cela, il faut du courage, de l’imagination et de l’initiative politique, et pas seulement au niveau du gouvernement.


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