Au début de l’année dernière
(2019) je titrais un article de blog : « L’élevage porcin français,
sombres perspectives ! »
Puis en avril : « Vive
la peste porcine africaine… en Chine ! »
Entre ces deux
articles, puis par la suite, je n’ai plus rien écrit, restant dans
l’expectative face à une filière porcine fortement globalisée et mondialisée,
en très grande incertitude sur son avenir.
En effet, les cours
du porc au marché au cadran de Plérin, qui fixait des cours en dessous du seuil
de rentabilité de nombreux élevages français depuis plusieurs années, n’ont
depuis cessé d’augmenter, partant de 1,20 € le kg/carcasse TMP 56 en début
d’année pour culminer à 1,70 € le 12 décembre 2019 avant de se tasser légèrement
depuis.
Le cours moyen sur
l’année 2019 a été de 1,49 €, en progression de 25% sur le cours moyen 2018.
Pourquoi cette
flambée des cours ?
Une impressionnante
épidémie de peste porcine dite africaine se répand en Chine, pays qui
représente à lui seul environ 50% de la production et de la consommation
mondiale, épidémie qui s’est répandue plus largement en Asie et, plus
marginalement, en Europe de l’Est.
Cela a conduit à une
baisse importante de la production chinoise, de l’ordre de 20% (dix millions de
tonnes, soit la moitié de la production européenne) et à l’afflux d’une demande
d’importation de la part de la Chine et des pays asiatiques, déjà importateurs
importants avant cette crise, assurant un débouché régulier aux filières
porcines européennes et américaines.
L’élevage européen,
qui faisait face à une surproduction et à une baisse des cours depuis plusieurs
années, était en train de baisser la voilure d’une production de moins en moins
rentable, traversée par de nombreuses incertitudes sur l’avenir :
développement accéléré de l’élevage russe, concurrence accrue des américains,
canadiens et brésiliens, grande sensibilité aux divers aléas politiques., etc…
Cette peste porcine en Chine est donc une
aubaine !
Tout cela est certes
très satisfaisant, mais est-ce que cela va durer ?
Le marché du porc
standard sera toujours très mondialisé, influant sur des cours qui seront encore
déconnectés des coûts de production, comme ceux du pétrole ou de l’acier. Avec pour
corolaire une compétition-prix féroce qui se fera au bénéfice de ceux qui
auront les coûts de production les plus faibles : tous les producteurs du
monde ne jouent pas en effet dans la même catégorie, d’un continent à l’autre,
d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’un élevage à l’autre… Les
conditions sociales, environnementales, structurelles ne sont pas identiques.
Par exemple les
grands élevages du nord Midwest américain qui, au milieu d’immenses surfaces de céréales, placent des ateliers
naisseurs de 3 000 truies et des ateliers d’engraissement de 80 ou 90 000
porcs par an en se fichant des nuisances environnementales (ils n’ont pas de
voisins), livrés à l’abattoir par semi-remorque à rallonge, offriront des
carcasses pour l’export à des prix très inférieurs à l’offre européenne et plus
particulièrement française, qui n’est pas en Europe la plus compétitive.
Les chinois, ou plus largement les asiatiques, ne sont pas en outre des perdreaux de l’année et savent très (très) bien négocier ;
Après une période de
quasi panique, qui se termine, se dessine une période de consolidation
stratégique
- Accord avec les USA pour importer des carcasses
de porcs (dans le cadre des « accords » de rééquilibrage de la
balance commerciale Chine USA.)
- Discussion avec le Brésil, la Russie et
l’Ukraine, potentiels futurs fournisseurs.
Et surtout, pour le
long terme et comme toujours en Chine : compter sur ses propres forces.
L’épidémie de FPA en
Chine s’est surtout répandue dans les élevages traditionnels, familiaux et artisanaux.
Ceux-là sont condamnés. Les élevages industriels, qui sont installés dans
des building péri-urbains ultra sécurisés sur le plan sanitaire, qui
ressemblent à des HLM des années 70 et sont propriétés de très grandes sociétés
intégrées, feraient frémir tout consommateur français, même les moins attentifs
au bien-être animal. C’est pourtant eux qui vont répondre aux besoins
importants en viande de porc de la Chine dans les prochaines années. Rappelons
que le consommateur chinois consomme le porc sous forme de préparations
généralement hachées (bouchées, nem,) ou tranchées finement en sauce. Le
principal concurrent sur ce créneau risque du reste d’être assez rapidement le
porc artificiel, à base de soja structuré et aromatisé.
Quelle peut donc
être une stratégie à moyen-long terme pour le porc français dans ces
conditions ?
D’après les
dirigeants porcins bretons, il faut profiter du retour à la rentabilité
constatée en 2019 pour apurer les dettes mais surtout réinvestir dans les élevages
conventionnels (entendre hors sol bâtiment) pour les remettre à niveau de
compétitivité (coûts ?) surtout pour l’export.(Réussir
Porc de janvier 2020)
L’élevage porcin
français présente cependant deux caractéristiques : l’obsolescence des
infrastructures, imputable à un manque d’investissement ces dernières années, mais
aussi un fort taux d’endettement des exploitations du fait de la faiblesse en
fonds propre des exploitants.
Il s’agit de plus en
plus d’une activité lourde, très consommatrice d’investissements et de fonds de
roulement, la plupart du temps financés par emprunt, sur des exploitations
familiales de taille modeste, majoritairement sur le mode naisseur engraisseur.
La compétitivité prix
des élevages français conventionnels dans ces conditions parait difficile à
atteindre dans les années qui viennent, même sur le marché européen.
Ces mêmes dirigeants
bretons restent très prudents, si ce n’est sceptiques, sur la « montée en
gamme » qui ne doit « surtout pas impliquer de nouvelles charges de
structure ».
Autrement dit « monter
en gamme », peut-être, mais sans changer les fondamentaux de l’élevage
porcin, le hors sol-bâtiment, la vente à 168 jours, la quête du TMP maximum.
Le résultat de cette
position est que 95% des porcs français, au minimum, sont élevés de cette façon
à partir de souches sélectionnées essentiellement sur des critères de
productivité. Les porcs dit « de montée en gamme », les porcs
« label rouge », « bio » et même ceux dits de « plein
air », qui ne passent en général que les deux derniers mois de leur courte
existence (6 mois) sur des parcours extérieurs ne représente qu’environ 5% de
cette production et presque aucune valeur à l’export.
Le reste de la
production, qui passe sous les radars des statistiques, recouvre des pratiques
très diverses, l’autoconsommation, la vente directe de produits divers très peu
contrôlés, de porcs conventionnels à des porcs élevés en plein air en liberté
sur des races locales pures ou croisées, gascons, basques, nustrales, blancs de
l’ouest, etc…
La demande finale,
celle des consommateurs, évolue et se satisfera de moins en moins de simples
annonces marketing.
Même si cette demande
peut paraitre parfois contradictoire, elle présente des traits dominants :
-
Production locale
-
Filière courte
-
Procédés de transformation naturels
-
Bien-être animal
-
Etc…
Qu’est-ce qu’un
porc haut de gamme ?
Selon Jean-Pierre
Poma, directeur du CRITT d’Auch et spécialiste reconnu du jambon sec et de la
salaison, plus que la race, les deux éléments essentiels pour la qualité d’une
viande de porc sont l’exercice physique et l’âge d’abattage.
Exercice physique dès
le post sevrage pour assurer un bon développement musculaire : le plein air intégral et une faible
charge à l’hectare s’impose.
Age d'abattage de neuf
mois minimum, mais plutôt supérieur à 12 mois, et plus selon les races des
animaux concernés, pour obtenir des viandes « faites », à partir
d’animaux adultes.
L’alimentation de
finition et la race sont deux facteurs complémentaires.
On obtient alors des
carcasses lourdes, une viande rouge, persillée, goûteuse et apte, pour les
jambons et épaules, à subir un temps de séchage long, de 24 mois et plus.
L’offre pour ce type
de produit, en France, est quasiment inexistante et surtout très localisée :
porcs Gascons, Basques, Nustrale, Noir du Limousin, Blanc de l’Ouest et de
Bayeux, surement moins de 10 000 truies en tout, sur environ 1 millions de
truies dans les élevages français.
Les bouchers qui
auraient la clientèle pour ce type de produit rencontrent de grandes
difficultés pour s’en procurer de façon régulière, ce qui contribue aussi à
maintenir un prix élevé. Ceci est principalement imputable à l’absence de
filière locale organisée.
Les charcutiers et
salaisonniers en sont réduits à élaborer des spécialités locales, jambon de Savoie
ou rosette de Lyon par exemple, à partir de porcs bretons, espagnols ou
allemands.
Une stratégie cohérente consisterait certes à remettre au niveau de compétitivité-prix le porc conventionnel , en le fléchant déjà sur le marché français (label "le porc français" en pariant surtout sur la loyauté à l'élevage national du consommateur hexagonal), mais aussi à favoriser la création et l’organisation partout en France d’élevages locaux sur des cahiers des charges plus qualitatifs, typés et régionalisés pour alimenter les bouchers et transformateurs locaux et in fine, le consommateur avec des produits correspondants à ses attentes.
Reconquérir, dans un
premier temps, le marché hexagonal par la qualité, et repartir peut-être à
l’export ensuite sur ce même schéma.
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