jeudi 5 décembre 2013

A propos du Plan Agricole pour l'Avenir de la Bretagne

Le « Plan Agricole et Agroalimentaire pour l’Avenir de la Bretagne » vient d’être publié (site "Le Monde" du 5 décembre) et appelle d’ores et déjà  quelques remarques concernant la filière porcine.

L’analyse de la situation actuelle de la Bretagne agricole et agro-alimentaire est résumée au moyen d’une matrice SWOT (pages 45 et 46), qui a pour principale caractéristique de ressembler au catalogue de la Redoute : on y trouve de tout, pour faire plaisir sans doute à tout le monde !
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l’utilisation d’une matrice SWOT, rappelons qu’il s’agit d’une méthode managériale d’analyse stratégique d’une situation donnée qui consiste à rassembler sur un tableau  des  éléments, classés par ordre d’importance dans quatre cases :  Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces  (Strengths, Weakenesses, Opportunities, Threats). Le tout pour aider à la prise de décision.
La liste figurant dans chaque case ne doit pas compter trop d'éléments,  sous peine de ne pas être véritablement la "synthèse" opérationnelle attendue. En général la liste comprend 3 à 5 éléments. Au-delà de 7 éléments, on doit s'interroger sur le caractère nécessaire de cette prolixité...
Or la matrice présentée ici comporte 18 éléments de Forces, 17 de Faiblesses, 14 d’Opportunités et 20 de Menaces (hou la la !), ce qui vaudrait une note inférieure à 5/20 à tout étudiant présentant un tel document !

Plus sérieusement, certains éléments avancés sont à prendre en considération, même s’il parait nécessaire d’en souligner quelques contradictions, ne serait-ce que pour les lever.

Ce document fait apparaître (p.41) la faiblesse relative de la valeur ajoutée par  les IAA bretonnes, de l’ordre de 16% contre 20% dans l’ensemble de la France, ce qui illustre l’orientation « production de masse » du secteur, régulièrement soulignée par de nombreux observateurs ces derniers temps.
Or il n’existe que deux façons d’augmenter la valeur ajoutée dans une activité productive : obtenir des gains de productivité à prix de vente constant ou bien monter en gamme (par la qualité, la notoriété, la rareté relative, etc…)  et justifier ainsi une augmentation substantielle du prix de vente non entièrement répercutée sur le prix de revient.
Ce raisonnement peut aussi être tenu plus en amont, au niveau de l’élevage. Et c’est là que le plan contient visiblement quelques contradictions.

L’élevage porcin breton (il n’est pas le seul, mais c’est ici l’objet du rapport)  souffre d’un manque évident d’investissements et d’un problème de structure des élevages.
Plusieurs études publiées par l’IFIP (dépendant directement de l’interprofession de l’élevage porcin), montrent que le seuil minimum de rentabilité pour un élevage de naisseur engraisseur de situe vers 250 truies, taille atteinte pour l’instant que par moins de 20% des exploitations et préconise l’évolution vers des maternités plus importantes ( de 500 à 1000 truies) , à l’instar des danois et hollandais, leaders en ce domaine.
Rappelons que le même IFIP évaluait aussi en 2011 entre 2,4 et  2,7 milliards d’euros les investissements nécessaires à la mise à niveau des élevages porcins français (soit, en proportion, environ 1,7 milliards pour la seule Bretagne).
Rappelons enfin  que les dirigeants professionnels ont annoncé en mars 2013 (Michel Bloc’h, Président de lUGPVB, dans Réussir Porc n°202)  que sous condition de « libérer les énergies » (ce qu’ils sont en train d’obtenir, au grand dam des défenseurs de l’environnement…), ils évaluaient à environ 524 millions d’euros les investissements qui pouvaient être consentis par la profession sans appel à subventions extérieures
A  mettre en face des 15 millions d’euros annoncés dans le plan….
Pour résumer, s’il s’agit d’augmenter la productivité, il est nécessaire de pousser au développement de la taille des élevages en différenciant les naisseurs des engraisseurs. Ce qui signifie aussi la disparition totale ou partielle de plusieurs milliers d’élevages et la concentration des investissements nécessaires sur un ou deux milliers d’élevages de grandes dimensions, performants et pouvant alimenter la filière de transformation.

La montée en gamme, par contre, est tout à fait compatible avec des structures d’exploitations de taille moyenne ou petite. Le document souligne la grande faiblesse des productions sous labels de qualité, AOP, IGP, Label Rouge, bio, etc ?  
Eh bien pourquoi, par exemple,  ne pas promouvoir  la réintroduction du Porc Blanc de l’Ouest en élevage extensif, avec une alimentation de production locale, dans le but d’obtenir à terme une AOP et de développer une filière de transformation locale ? Encore faudrait-il  là aussi libérer les énergies et dégager des moyens pour aider sérieusement ceux qui se lanceraient dans une activité prospective mais dont les résultats ne seront pas attendus avant plusieurs années.


Ces deux démarches ne sont pas contradictoires, encore ne faudrait-il pas que, dans l’urgence, le productivisme à tout crin ne l’emporte à nouveau et  ne laisse aucune place aux projets de diversification visant la montée en gamme… et le maintien des exploitations familiales qui ne pourront plus suivre la course à la productivité industrielle.

A suivre avec attention....