samedi 20 janvier 2018

Filière « push » ou filière « pull » ?


 En rendant rapidement compte du « plan de la filière porcine française » je faisais remarquer qu’il reflétait davantage des préoccupations des éleveurs que de celles des consommateurs, qui sont quand même les « end users », ceux qui payent à la fin pour consommer les produits et donc potentiellement ceux qui vont assurer son avenir.

Les consommateurs leaders, du moins ceux qui orientent le marché et finissent par entrainer les autres, souhaitent de la typicité, du goût, de la diversité, du naturel, du local, etc… en fait toutes choses que la filière d’élevage a mis beaucoup d’obstination depuis plusieurs décennies à réduire à une production de masse non différenciée et localisée surtout en Bretagne en s’étonnant ensuite que seul le prix de vente le plus bas intéressait leurs acheteurs, abattoirs, transformateurs et distributeurs.

Comme le soulignait à juste titre le président de la République lors de ce fameux discours de Rungis : « Est-ce que vous pensez que nous pouvons nous contenter d’avoir 0,5% de porcs « bio » en France, 3% de Label Rouge, alors que nous ne parvenons pas à satisfaire la demande des consommateurs ».

Dans ce « plan de filière », il est fait état de la possibilité de diversifier les systèmes d’élevage mais pour indiquer juste après que le maintien d’une filière porcine française dépendra directement de son niveau de compétitivité (page 5).

Quelle compétitivité ? La compétitivité coût, bien sûr ! Celle sur laquelle la filière d’élevage conventionnelle (industrielle) est en difficulté, pour des raisons valables (dumping social par exemple) et d’autres moins (obsolescence  des installations et sclérose des organisations, autres exemples). La compétitivité hors coût ? Il faudrait, selon Guillaume Roué, président d’INAPORC, prouver avant qu’il y ait un marché solvable ! Pourtant nous sommes, parait-il, dans une économie de l’offre…. et l'offre crée la demande, si l'on en croit la loi des débouchés du bon vieux Jean Baptiste Say. Encore faudrait-il qu'il y ait une offre!

Que la filière d’élevage et les organisations qui la représentent soient très concernées par l’avenir des éleveurs qui les mandatent et qui sont enfermés dans un système rigide et de plus en plus inadapté face à une concurrence internationale de plus en plus vive et une demande nationale de plus en plus qualitative, cela peut se comprendre. Les solutions qu’ils apportent sont celles de ce que l’on pourrait appeler adaptées à une filière « push », filière de recherche de débouchés pour une production donnée, que pratique par exemple avec un certain succès et quelques contradictions la Cooperl Arc-Atlantique.

Mais l’on peut aussi considérer et mettre des moyens pour construire une filière « pull », celle qui part des demandes actuelles et potentielles du marché, décrites sommairement plus haut et qui cherchent à y adapter la filière. Cela nécessite que les intermédiaires du bas de la filière, ceux qui sont en contact directs avec les consommateurs, distributeurs et transformateurs, qui font du marketing et qui de plus en plus souvent vont chercher ailleurs de quoi les satisfaire, en Espagne et en Italie en particulier, acceptent d’investir en amont. Ils ont déjà commencé, de façon pour l’instant encore timide, en ménageant les éleveurs existants: sans OGM, sans antibiotique, avec des Oméga 3, etc... ce qui n''implique pas fondamentalement la remise en cause des techniques d'élevage intensives hors-sol. Mais cela signifie aussi un changement de cap des pouvoirs publics et des organismes d’accompagnement : IFIP, INRA, etc…


Un redéploiement territorial de l’élevage, une diversification autant des races d’animaux que des pratiques, la construction d’une offre de haute qualité gustative et environnementale, ne se fera pas sans un investissement important de tous les opérateurs de la filière, sur des bases locales et verticales, qui se croiseront nécessairement quelque part avec la filière existante, en partant du marché et non uniquement des préoccupations des structures de production en place.

jeudi 18 janvier 2018

Le saucisson de Belley

Dans un petit ouvrage paru en 1892 sous le titre  "La Table au pays de Brillat-Savarin", son auteur Lucien Tendret, alors avocat à Belley (01), consacre tout un chapitre à la charcuterie et plus particulièrement au "saucisson de Belley", dont j'en transcrit ci-dessous un extrait.

Chapitre V
 LA CHARCUTERIE
le Saucisson de Belley

"Ah! la bonne chose que ce saucisson"
Voltaire, Lettre à M. le marquis Albergati Capacelli

" La charcuterie de Belley était autrefois renommée, mais on a introduit dans le pays une race de porcs blancs, dont la chair fadasse ne donne que de mauvais produits.
Anciennement, dans les maisons bourgeoises, les saucissons étaient préparés avec des soins minutieux. Ce travail s’appelait baconage, du vieux mot français bacon signifiant porc. On se délectait des boudins délicats faits de crème onctueuse et de consommé savoureux mêlés au sang pur de la victime immolée. Ces boudins exquis, on ne les trouve plus, car aujourd’hui le sang est frelaté comme le vin.
Pour avoir de la bonne charcuterie, il faut choisir des porcs noirs, de l’espèce ancienne du Bugey ou du Dauphiné. S’ils sont nourris d’herbes cuites, de feuilles de légumes, de déchets de cuisine, d’eaux grasses et de son, leur chair sera molle, sans saveur et de couleur grise ; mais elle sera ferme, sapide et rouge s’ils sont engraissés de pommes de terre cuites, d’orge grossièrement moulue, de féveroles concassées, de maïs, de sarrasin, de glands, de châtaignes, d’avoine et de farine de seigle.
Les saucissons doivent être fabriqués pendant l’hiver, par un temps frais et sec. On baconne dans une chambre non chauffée, mais si la viande subissait un froid trop rigoureux, elle resterait pâle et n’aurait jamais la couleur rose, un des attraits de la charcuterie.
La viande du porc est choisie sur des tables ou des planches, appropriées et frottées d’ail comme les vases employés.
Dans un vieux manuscrit daté de 1798, je lis cette phrase : « Les personnes qui choisissent la viande ne doivent avoir aucune indisposition », c’est-à-dire « les femmes doivent être en état de grâce ».
Le saucisson de Belley est un produit d’origine italienne ; il ressemble à la mortadelle de Bologne, mais il lui est supérieur, si la fabrication est réussie.
Pour avoir six saucissons d’environ deux livres chacun, il faut au moins soixante livres de viande prise de préférence dans les quartiers de derrière et dans les filets du porc.
On sépare d’abord la viande maigre du lard gras ; on choisit ensuite, si je puis m’exprimer ainsi, ce qu’il y a de plus maigre dans le maigre, et avec un couteau dont la lame est affilée et pointue, on enlève, en raclant dans les morceaux de chair, les filaments, les nerfs et les plus petites parcelles de graisse ; cette séparation minutieuse des parties maigres et des parties grasses est importante, car si elle est mal faite le goût des saucissons sera complètement modifié.
On met cette viande triée, et déjà réduite en pâte, dans un vaste plat de terre appelé vulgairement conche, celle séparée est mise dans un autre plat de même dimension, et on l’utilise pour des cervelas et des godiveaux.
Les saucissons sont faits avec la viande de premier choix ; on la hache en quantité de cinq cents grammes à la fois, jusqu’à ce qu’elle soit réduite en une pâte homogène, lisse et très fine ; avant chaque opération, on nettoie la table ou la planche sur laquelle on hache et on la frotte d’ail ; il faut aussi essuyer souvent la lame du couteau à hacher, car elle est bientôt recouverte de graisse restée dans la viande choisie."

Le porc du Dauphiné, ou celui du Bugey, ne sont plus hélas que de lointains souvenirs .
Quant au saucisson de Belley....

A suivre.

La Table au pays de Brillat-Savarin, Edition HORVATH, 1892. Réédité en 1986 par les Editions Horvath, 42120 Le Coteau. ISBN 2-7171-0411-9

mardi 16 janvier 2018

Parlons de filières : verticales ou horizontales ?


 La notion de filière a pris une place importante, surtout dans le domaine agro-alimentaire et plus particulièrement dans le domaine porcin, qui abrite probablement l’une des plus longues filières de l’agro-alimentaire.

De la fourche à la fourchette, pour reprendre un slogan bien connu, de très nombreux opérateurs interviennent sur le produit.

Le cultivateur (de céréale et de protéagineux), le minotier qui fabrique l’aliment (environ 60 à 70 % du cout final d’un porc charcutier),  le sélectionneur multiplicateur de reproducteurs, l’éleveur naisseur, l’engraisseur (parfois le même), l’abatteur, le découpeur, le transformateur, le boucher, le charcutier, et tous les fournisseurs connexes, de matériel, d’ingrédients, de pharmacopées diverses, pour finir dans les différents canaux de distribution, grande ou petite.

Ce qui caractérise aussi la filière porcine, c’est son côté « horizontal ». Quasiment à chaque étape, on assiste à une banalisation du produit intermédiaire : l’aliment, commercialisé souvent par des entreprises au moins nationale et élaboré à partir de matières premières venant du monde entier au gré des cours et des disponibilités, la génétique (les reproducteurs), sur un nombre très limité de schémas de plus en plus mondialisés, les techniques d’élevage (hors sol en bâtiment pour faire court), les techniques d’abattage, de découpe et de conditionnement, qui, presque identiques dans le monde entier, banalisent les muscles et transforment l’animal en minerais anonymes, les transformations charcutières ou salaisonnières , qui se sont à la fois spécialisées et délocalisées : on fabrique du saucisson partout grâce aux séchoirs électriques, il n’y a plus que deux ou trois fabricants de rillettes qui en vendent dans la France entière, etc…  A chaque étape, des marchés intermédiaires avec cotation indépendante se sont immiscés, renforçant encore la prédominance du moindre coût sur l'origine et  la typicité…. et source de nombreuses tromperies ! En fait, il n'y a pas de "effet de filière", effet qui pourrait rendre solidaire différents agents, qu'ils soient en amont ou en aval, dans le but de valoriser l'ensemble.

La réponse se situe sans doute dans la construction de filières « verticales », souvent sur une base géographique définie, d'une race porcine, d'un mode d'élevage (par exemple le plein air, parfois conjugués. C’est ce que construisent, avec difficultés, les partenaires réunis autour du porc basque KINOA , du gascon « Noir de Bigorre », du porc corse, Nustrale, et peut être aussi de la saucisse de Montbéliard et de la saucisse de Morteau, ou des andouilles de Vire et de Guéméné. On en oublie sans doute, mais assez peu. En effet, beaucoup de produits sous IGP sont caractérisés par un savoir-faire local mais aucunement par une origine de matière première, ce qui en retire de la force mais aussi souvent de la typicité et de la valeur ajoutée locale.

Ces filières "locales et verticales" permettent d'engager des partenariats locaux entre corps de métier différents, de se mettre d'accord avec des arguments objectifs sur des prix de cession et des grilles tarifaires réalistes (et non sur la base de cours de marchés exotiques) et d'engager des actions commerciales et promotionnelles performantes.

Une autre réponse est la filière courte locale : élevés et transformés à la ferme. La diversité des pratiques et la dispersion des éleveurs-transformateurs gênent la projection d'une image cohérente de ces pratiques et  n’empêche pas quelques dérives sur la race des animaux, leur régime alimentaire, leur mode d’élevage, etc…Ces démarches sont encore très marginales en volume et ne progressent que très lentement malgré un réel intérêt de consommateurs de plus en plus nombreux.

Bref, il semble pourtant que l’avenir va dans ce sens : un terroir, une race, une alimentation locale, des techniques d’élevage homogènes, des produits transformés localement, une marque commerciale, un réseau de distribution permettant de faire remonter la valeur ajoutée vers les lieux de production (aliment, élevage, transformation)… à condition d’atteindre une masse critique de production suffisante pour assurer toutes les fonctions nécessaires et construire une notoriété.

A suivre…..

samedi 13 janvier 2018

Le plan de la filière porcine française.


  En réponse au discours de Rungis du président de la République, qui enjoignait aux filières agro-alimentaire de se prendre par la main et de présenter d’ici la fin de l’année 2017 chacune un plan de filière permettant « de fixer des objectifs de restructuration interne aux interprofessions, des objectifs de montée en gamme sur la bio, les signes de qualité, des objectifs environnementaux et sociétaux, des programmes de recherche agricole, de ciblage des investissements », tout programme qui pourrait s’inscrire dans un futur plan d’investissement de 5 milliards d’euros pour l’ensemble du monde agricole.

Sous l’égide d’INAPORC, ce rapport a été rédigé et publié au milieu du mois de décembre.

Quoique sans trop rentrer dans les détails ni formuler des propositions très concrètes (sans doute à cause du court délai de réalisation), il couvre globalement tous les axes de réflexion portant sur l’avenir de la filière.

Quelques remarques cependant.

-         -  Proposer une nouvelle segmentation qui irait du porc standard au porc label, sous différentes marques de qualité, revient en fait à procéder à une segmentation entre le porc standard et…. le porc standard. Qu’il soit « bio », sans OGM, sans antibiotique, avec des Omega 3, castré ou non, etc… la différence dans l’assiette du consommateur (point essentiel) est très faible, à l’exception peut-être du porc fermier Label Rouge, élevé en plein air. On est très éloigné de la nécessité de partir de la demande finale, celle du consommateur, d’imaginer des porcs de rupture, réellement haut de gamme, dont on peut constater aisément la qualité dans l’assiette, démarche qui peut tirer toute la filière vers le haut. Remarquons toutefois qu’il est fait mention de la nécessité de développer les six races locales françaises autour du LIGERAL.

-       -    Il n’est pas certain que l’approche horizontale préconisée (règles nationales s’appliquant à tous partout) soit susceptible de mettre en place des solutions pratiques dans un délai raisonnable, tant les préoccupations des uns et des autres sont divergentes.

-      -     La compétitivité est surtout comprise en terme de coût (ou de moindre coût) et non en terme de qualité.
-          Dans le même droit fil, on a l’impression que le président d’INAPORC est toujours très sceptique sur les possibilités de se développer sur le marché haut de gamme et bio. On a connu plus d’entrain.

-        -   La présence, parmi les signataires, de la FICT, est plutôt bon signe. Rappelons que cette fédération des transformateurs avait quitté INAPORC il y a deux ans, lui reprochant son inactivité pour répondre à la demande d’animaux « bios » et segmentés.
    
       En résumé, beaucoup de bonnes intentions, mais les différents plannings de mise en œuvre paraissent très optimistes quand on voit l’état actuel de la filière au niveau local, en particulier sur les produits « segmentés ».

      Comme souvent dans cette filière, on perçoit davantage dans ce document une préoccupation de défense des producteurs, surtout des éleveurs, et nettement moins une démarche dynamique  de conquête de marchés, qu'ils soient nationaux et internationaux.
Là se situe pourtant la clé d'une relance durable de la filière porcine française.