mardi 4 février 2014

Stratégies allemandes

Tönnies Flesch est le plus important abatteur de porcs en Allemagne, et le n°3 européen. Avec 15,3 millions de têtes abattues, il est devancé par le danois Danish Crown (22,4 Mt) et le hollandais Vion (20,9 Mt) (2010) mais laisse loin derrière les deux leaders français Cooperl et Bigard, avec leur 5 Mt chacun.
Tönnies est aussi le premier exportateur européen vers la Chine et la Russie.

Ce qui caractérise Tönnies Flesch, c’est qu’il s’agit d’une société familiale, crée en 1971, installée au sein de la première région productrice de porcs en Allemagne, la Basse Saxe, et le moins possible impliquée dans les activités d’élevage ou d’alimentation animale. Au contraire de la plupart de ses concurrents (à l’exception de Bigard), d’origine coopérative et donc plus ou moins soucieuses des intérêts de ses mandants, éleveurs et cultivateurs, Tönnies pratique une politique pure et dure d’industriel de l’abattage et de la viande.
Aussi est-il intéressant de se pencher sur sa stratégie industrielle… et de s’en inquiéter.

Tönnies est le premier employeur de personnels d’abattoir en Allemagne et celui qui a le plus trainé les pieds pour accepter de pratiquer un salaire minimum (de 8,5 €/heure aux dernières nouvelles, et à partir seulement de 2016), trouvant nettement plus rentable de se faire mettre à disposition par des entreprises spécialisées des travailleurs d’Europe de l’est notoirement sous-payés et dans des conditions de vie précaires, permettant ainsi une concurrencer avec succès les abattoirs français, mais aussi danois, belges, hollandais, etc…

Les achats de porcs de Tönnies pèsent directement sur les cours allemands et plus largement européens. D'autant plus qu'il est souvent pratiqué par les abatteurs allemands un prix d’achat réel inférieur au prix AMI (équivalent allemand du MPB).
Or Tönnies étant très engagé à l’export, ses achats dépendent directement de ces débouchés, qui peuvent eux même être rapidement fermé, comme c’est le cas actuellement avec le Russie, ce qui a conduit ces derniers jours à une baisse des cours européen pendant une période généralement de hausse.

Mais le plus important ne réside pas dans ces pratiques, somme toute assez fréquentes dans le secteur.

Tönnies investi massivement en Russie : Objectif d’un million de porcs produits sur une dizaine de méga-fermes pour alimenter un abattoir de 100 000 tonnes. 8 installations, de 65 000 porcs en moyenne chacune, fonctionnent déjà.

Pour ce faire, il s’est associé avec deux autres sociétés, KTG Agrar, spécialiste de l’exploitation de grande culture (39 000 hectares exploités en Allemagne de l’Est, en Lituanie et récemment en Russie) et RKS, spécialisée dans la production intégrée de porcs dans les nouveaux Länder allemands, avec la probable bénédiction du géant de l’énergie GASPROM.

Selon le site SOCOPAG, qui a publié l’information au mois d’octobre, ces investissements inquiètent les milieux syndicaux agricoles allemands qui y voient, à juste titre, une menace sur leur activité. Tönnies, en s’affranchissant d’une partie de son sourcing allemand (et danois et néerlandais) pour approvisionner le marché russe ne manquera pas de peser sur les cours internes à l’UE.

En outre, la maitrise progressive de méga –installations, installées au milieu de vastes domaines de grandes cultures dans l’est de l’Europe, Pologne, Roumanie, Ukraine, par des opérateurs allemands mais aussi américains (Smithfield, repris par le groupe chinois Shuanghui) et autres ne manquera pas de venir un jour ou l’autre concurrencer les éleveurs ouest européens.

Le modèle économique qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, orienté principalement au bénéfice des éleveurs et des producteurs d’aliment,est à bout de course et risque donc de voler en éclat s’il persiste à vouloir concurrencer des méga-installation industrielle avec des méthodes artisanales.Et on ne voit malheureusement pas pour l'instant ce qui pourait le remplacer, faute de réflexions stratégiques.