mardi 8 mars 2016

La filière porcine française a-t-elle un avenir ?

Voici la conclusion du livre "La filière porcine en France, le porc français a t-il un avenir", paru en juin 2013 aux éditions de l'Harmattan.
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La filière porcine française a-t-elle un avenir ?

La filière conventionnelle, qui représente plus de 95 % de l’activité, est en récession depuis plusieurs années et les conditions d’un retour à la croissance sont loin d’être réunies, ni même imaginées.
Le modèle économique sur lequel elle repose au niveau de l’élevage, est devenu monopoliste, pour ne pas dire totalitaire, et trop fortement « bretagno-centré ». Il a atteint ses limites, limites environnementales et limites de compétitivité.

L’avenir le plus vraisemblable parait résider dans la concentration de l’activité d’élevage intensif autour d’un nombre limité d’établissements de grandes dimensions, techniquement et économiquement performants, comparables à leurs principaux concurrents européens. Ils seront construits selon des normes permettant de garantir à la fois le « bien-être animal » défini réglementairement au niveau européen et le traitement efficace des effluents, ce qui mobilisera d’importants capitaux et moyens humains. Cela conduira à la disparition ou à la reconversion de nombreux élevages et sans doute à une diminution assez sensible des volumes de production.

Si cette évolution permet de redonner une certaine compétitivité à la filière d’élevage française face à ses principaux concurrents actuels, elle ne la fera pas sortir pour autant de l’étau économique dans lequel elle se trouve enserrée, constitué par les deux marchés globalisés, celui des aliments et celui des carcasses sur lesquels personne n’a plus aucune prise.

Cela n’améliorera pas non plus la situation des grands abattoirs, essentiellement bretons, qui verront de toute façon de moins en moins d’animaux arriver à leurs portes.

Les industries de transformation continueront à acheter leurs matières premières aux plus offrants, qu’ils soient bretons, danois, espagnols, roumains, et, pourquoi pas bientôt, canadiens ou américains. Ils seront cependant toujours tributaires des prix de la carcasse ou du muscle, fixés selon des cours de plus en plus mondialisés… Et ils devront toujours négocier les prix de vente à la grande distribution en valorisant si possible la qualité et l’originalité de leur transformation ainsi que la notoriété de leur marque, sur un marché final en régression….

Un point parait certain : ce n’est pas sur ces bases que ce secteur d’activité retrouvera de la croissance.

Les dirigeants professionnels actuels, obnubilés par les difficultés multiples que rencontre leur filière à presque tous les niveaux, prisonniers de leur base paupérisée, coincés dans des organisations diverses, complexes et rigides, ne sont pas en mesure de formuler des axes de développement stratégique cohérents, quand bien même ils laissent parfois en entrevoir la nécessité. Les seules réponses qui recueillent l’unanimité de la profession sont peu productives et souvent démagogiques : moins de contraintes (à l’agrandissement, environnemental, etc.), plus d’aides publiques, plus de protectionnisme, moins de pression de la grande distribution, etc..
Le productivisme à tout crin, prôné encore maintenant avec entrain par ces mêmes personnes, a trouvé là ses limites.

Les pouvoirs publics, de plus en plus sollicités, ne doivent pas limiter leur action à garder sous perfusion cette filière très mal en point.
Certes, le sort à court terme de dizaines de milliers d’emplois dans l’ouest de la France et, de façon plus diffuse, dans le reste du pays, ne peut les laisser indifférents. Il s’agit donc d’aider à la modernisation et à la montée en puissance des élevages qui en sont capables techniquement et financièrement et accompagner la reconversion ou l’abandon d’activité des autres, probablement, en nombre, une grande majorité.

Mais ils doivent aussi être persuadés que la production et la transformation porcine peut constituer un important levier de croissance futur, surtout dans des zones rurales actuellement en voie avancée de désertification et situées souvent à proximité d’activités charcutières et salaisonnières encore actives et réputées.
L’innovation, la segmentation de l’offre et la montée en gamme constituent le triptyque classique de toute action de relance stratégique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité, permettant de mieux valoriser la production et de conquérir de nouveaux consommateurs.

Nous avons vu que le cœur de la filière, le point central sur lequel converge l’amont et l’aval, est ce fameux porc charcutier de 90 kg de TMP 60 qui est en train de devenir un standard mondial après avoir été le standard américain et européen.

Sortir de ce standard et son carcan doit être le point de départ d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir du secteur. Il faut abandonner l’objectif prioritaire d’une amélioration régulière de la productivité industrielle. Il ne s’agit pas non plus de travailler à des adaptations à la marge de schémas industriels productivistes pour leur donner un verni de naturel que l’on pourrait plus ou moins facilement valoriser auprès du consommateur.
Il s’agit de créer un porc de rupture en réhabilitant et assurant la promotion de races typiques et de techniques d’élevage durables dans le cadre d’une véritable « politique industrielle porcine », qui doit être déclinée régionalement et même localement.

Les objectifs de cette politique doivent être en priorité :
- La montée en gamme, la segmentation des produits d’élevage porcin, la promotion des pratiques d’élevage durables.
- Le redéploiement géographique des activités d’élevage et d’abattage en liant terroirs et diversités de pratique. Cela demandera probablement une redéfinition de la politique foncière rurale, vaste sujet qui dépasse largement notre propos.
- La réorientation vers ces pratiques de moyens financiers publics et privés sur la recherche, le développement, la formation et l’investissement, en s’appuyant sur les structures existantes : écoles vétérinaires et d’agriculture, lycées agricoles, centre de sélection animale, organismes publics de recherche (INRA), etc..
- L’aide à la structuration de filières courtes locales et intégrées, sous formes coopératives ou capitalistiques.
- Le soutien à une animation économique active qui pourrait être portée par les Régions et par les Chambres d’Agriculture dans le cadre d’accords contractuels non exclusifs, mais aussi directement par les pays et autres structures de développement local.

Ces objectifs ne pourront être atteints qu’en créant régionalement d’autres filières que la filière conventionnelle, qui devront être « bouclées » depuis la production de l’aliment jusqu’à l’assiette du consommateur en excluant les "passagers clandestins" à tous les niveaux.
Une telle politique, qui a été écartée depuis des décennies autant par la profession que par les pouvoirs publics, ne produira pas de résultats rapidement et ne constitue donc pas une alternative à court ni même à moyen terme aux difficultés criantes avec laquelle la filière d’élevage actuelle est aux prises.

La qualité, la typicité, le lien au terroir, l’authenticité, le respect de l’environnement, la visibilité de l’activité doivent redevenir l’enjeu futur de l’élevage porcin et de la transformation bouchère et charcutière, un enjeu de croissance par la qualité, par la montée en gamme.

Cet enjeu n’est pas uniquement national, il est la base de la reconquête de marchés d’exportation en valorisant le « made in France » pour des produits de haute qualité gustative, sanitaire et environnementale !

Mars 2013