dimanche 26 avril 2020

Relocaliser l’élevage porcin dans toutes les régions de France




L’épidémie COVID19 a mis en évidence la nécessité (et le souhait) de relocaliser une grande partie de la chaine alimentaire : autant que faire se peut, se fournir au plus près de chez soi, au travers de filières courtes, tant pour des questions de sécurité d’approvisionnement qu’environnementales : diminution des transports, réduction des moyens de conditionnement et de conservation, etc…
Une autre tendance, un peu plus ancienne, consiste à privilégier des produits régionaux, typés, sains, respectueux du bien-être animal pour les produits d’origine animale, etc…

En ce qui concerne la filière porcine, force est de constater que cette relocalisation est nécessaire, y compris au niveau intra-national pour ces produits de grande consommation :
Les quatre cartes suivantes soulignent un très grand déséquilibre entre l’ouest de la France, qui abrite plus de 75 % de la production porcine, la quasi-totalité des grands abattoirs, et 54% des activités de transformation, et le reste du pays
Il n’en a cependant pas toujours été comme cela :
La carte si dessous, issue d’un ouvrage de A. Leroy, « Le Porc », paru chez Hachette en 1937, montre une activité d’élevage porcin assez harmonieusement répartie sur tout le territoire.




C’est à partir des années 1960 que la Bretagne, surtout, a massivement investi dans des élevages intensifs hors-sol, alimentés par des mais et sojas américains débarqués massivement dans ses ports, et concurrencé de ce fait les élevages porcins de l’intérieur du pays avec comme résultat une très forte concentration régionale sur l’ouest et la constitution d’un désert porcin partout ailleurs, comme l’indiquent ces troiscartes (sources: IFIP, le porc par les chiffres 2019):










Les activités charcutières et salaisonnières, souvent très liées à l’image d’un terroir ou d’une région (Jambon d’Auvergne ou de Savoie, Rosette de Lyon, Andouillette de Troyes, charcuteries d’Alsace,, etc…) n’ont eu le choix qu’entre deux mauvaises solutions : soit délocaliser la transformation en Bretagne, généralement pour fabriquer des produits très génériques comme le jambon cuit, le pâté « de campagne » ou les saucisses « knack », tel par exemple Olida qui a quitté le département de la Loire pour Loudéac dans les années 80, soit élaborer les spécialités locales avec des viandes bretonnes, espagnoles ou allemandes, ce qui obère souvent toute possibilité de promouvoir de façon crédible un signe de qualité lié à l'appartenance à un terroir.

Le résultat, là encore, fut la diminution progressive d’activités charcutières et salaisonnières prestigieuses, la perte d’image et de parts de marché au bénéfice de concurrents espagnols et italiens, sur le marché français mais aussi, et surtout, international.

La relance de filières locales élevage-abattage-découpe-transformation-consommation, source de dynamisme et d’emploi local, ne peut être envisagée sans une action énergique des pouvoirs publics nationaux, mais surtout locaux : régions, départements, communautés de communes.
Il s’agit, de plus de promouvoir des méthodes d’élevage ayant recours à d’autres techniques que celles du hors sol intensif en bâtiment, quasi exclusivement utilisées dans les élevages français.
Ces techniques permettent certes de produire de la viande à bas prix, mais souffrent d’une image de plus en plus dégradée et d’une acceptabilité sociétale de plus en plus compromise : l’annonce de l’installation d’une porcherie industrielle soulève toujours une levée de bouclier et entraine d’interminables recours que peu de maires ou de préfets souhaitent affronter.

Il est donc nécessaire d’expérimenter et de promouvoir un autre modèle technique et économique, basé sur l’élevage de plein air extensif, éventuellement lié à des techniques d'agroforesterie, tel qu’il est pratiqué par un certain nombre d’éleveurs qui pour la plupart transforment et commercialisent en vente directe, à la ferme, sur les marchés ou en magasins de producteurs.




Pour l’instant, ce modèle ne permet pas d’alimenter de façon régulière les filières avales, bouchers, charcutiers-salaisonniers artisanaux ou industriels et distributeurs, qui constituent le gros des canaux de distribution et, à travers eux, des marchés, surtout en milieu urbain où se trouvent l’essentiel des consommateurs.
Ces producteurs sont trop peu nombreux, trop divers dans leurs pratiques, trop dispersés géographiquement et pas du tout organisés pour répondre efficacement à cette demande, même de proximité.
Leur pratique de vente directe ne conduit en outre pas à construire les nécessaires solidarités de filières locales ou régionales.

Par exemple, la région Auvergne Rhône Alpes rassemble 7,8 millions d’habitants. Avec une consommation moyenne de 33 kg de viande de porc par an (certes, avec os !) et par habitant, ceux-ci absorbent chaque année 257 000 tonnes pour une production locale de 85 000 tonnes, soit un déficit structurel de 172 000 tonnes, soit encore 2 millions de porcs charcutiers….
De plus, la région abrite aussi des activités de transformation qui « exportent » sur toute la France, et même ailleurs, comme Jambon d’Aoste ou Justin Bridoux, pour ne citer que les plus connues nationalement, ce qui augmente le besoin régional, difficile cependant à évaluer au niveau quantitatif.

Pour répondre, ne serait-ce que partiellement, à cette demande il est possible de promouvoir l’élevage de plein air en liberté, installé dans les très vastes espaces en déprise agricole et humaine, friches, landes, forêts, etc… que l’on rencontre un peu partout en France, et surtout sur cette fameuse « diagonale du vide » qui s’étend des Ardennes aux Pyrénées.




L’installation de ce type d’élevages entretien les sols et les paysages, crée des emplois directs et indirects et peuvent aussi apporter des activités de compléments à des exploitations existantes d’élevage ou de culture.

Ces élevages auront en outre besoin d'aliments: orge, blé mais, pois féverole, luzerne, etc... qui doivent être de production locale ou régionale.


Les collectivités locales, souvent propriétaires de bois et forêts qu’elles peinent à entretenir pourraient ainsi permettre l’installation de nouveaux éleveurs pour un investissement assez réduit (clôtures, abris, nourrisseurs, abreuvoir et petit véhicule de transport, plus un fonds de roulement), pouvant en outre apporter des activités en aval d’abattage et de transformation. Bref, reconstruire des filières économiques équilibrées et non pas continuellement bousculées par les errements de marchés internationaux des carcasses ou des aliments.


Pour plus de détail, on peut se rapporter au site de DIV’PORCS AURA :
https://asso-diversiteporcinerhonealpes.blogspot.com/



jeudi 30 janvier 2020

Peste porcine africaine: quelle stratégie pour la filière française ?


Au début de l’année dernière (2019) je titrais un article de blog : « L’élevage porcin français, sombres perspectives ! »

Puis en avril : « Vive la peste porcine africaine… en Chine ! »

Entre ces deux articles, puis par la suite, je n’ai plus rien écrit, restant dans l’expectative face à une filière porcine fortement globalisée et mondialisée, en très grande incertitude sur son avenir.
En effet, les cours du porc au marché au cadran de Plérin, qui fixait des cours en dessous du seuil de rentabilité de nombreux élevages français depuis plusieurs années, n’ont depuis cessé d’augmenter, partant de 1,20 € le kg/carcasse TMP 56 en début d’année pour culminer à 1,70 € le 12 décembre 2019 avant de se tasser légèrement depuis.

Le cours moyen sur l’année 2019 a été de 1,49 €, en progression de 25% sur le cours moyen 2018.

Pourquoi cette flambée des cours ?

Une impressionnante épidémie de peste porcine dite africaine se répand en Chine, pays qui représente à lui seul environ 50% de la production et de la consommation mondiale, épidémie qui s’est répandue plus largement en Asie et, plus marginalement, en Europe de l’Est.

Cela a conduit à une baisse importante de la production chinoise, de l’ordre de 20% (dix millions de tonnes, soit la moitié de la production européenne) et à l’afflux d’une demande d’importation de la part de la Chine et des pays asiatiques, déjà importateurs importants avant cette crise, assurant un débouché régulier aux filières porcines européennes et américaines.

L’élevage européen, qui faisait face à une surproduction et à une baisse des cours depuis plusieurs années, était en train de baisser la voilure d’une production de moins en moins rentable, traversée par de nombreuses incertitudes sur l’avenir : développement accéléré de l’élevage russe, concurrence accrue des américains, canadiens et brésiliens, grande sensibilité aux divers aléas politiques., etc…

 Cette peste porcine en Chine est donc une aubaine !

Tout cela est certes très satisfaisant, mais est-ce que cela va durer ?

Le marché du porc standard sera toujours très mondialisé, influant sur des cours qui seront encore déconnectés des coûts de production, comme ceux du pétrole ou de l’acier. Avec pour corolaire une compétition-prix féroce qui se fera au bénéfice de ceux qui auront les coûts de production les plus faibles : tous les producteurs du monde ne jouent pas en effet dans la même catégorie, d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’un élevage à l’autre… Les conditions sociales, environnementales, structurelles ne sont pas identiques.

Par exemple les grands élevages du nord Midwest américain qui, au milieu d’immenses  surfaces de céréales, placent des ateliers naisseurs de 3 000 truies et des ateliers d’engraissement de 80 ou 90 000 porcs par an en se fichant des nuisances environnementales (ils n’ont pas de voisins), livrés à l’abattoir par semi-remorque à rallonge, offriront des carcasses pour l’export à des prix très inférieurs à l’offre européenne et plus particulièrement française, qui n’est pas en Europe la plus compétitive.

Les chinois, ou plus largement les asiatiques, ne sont pas en outre des perdreaux de l’année et savent très (très) bien négocier ;
Après une période de quasi panique, qui se termine, se dessine une période de consolidation stratégique 
-  Accord avec les USA pour importer des carcasses de porcs (dans le cadre des « accords » de rééquilibrage de la balance commerciale Chine USA.)            
- Discussion avec le Brésil, la Russie et l’Ukraine, potentiels futurs fournisseurs.
Et surtout, pour le long terme et comme toujours en Chine : compter sur ses propres forces.

L’épidémie de FPA en Chine s’est surtout répandue dans les élevages traditionnels, familiaux et artisanaux. Ceux-là sont condamnés. Les élevages industriels, qui sont installés dans des building péri-urbains ultra sécurisés sur le plan sanitaire, qui ressemblent à des HLM des années 70 et sont propriétés de très grandes sociétés intégrées, feraient frémir tout consommateur français, même les moins attentifs au bien-être animal. C’est pourtant eux qui vont répondre aux besoins importants en viande de porc de la Chine dans les prochaines années. Rappelons que le consommateur chinois consomme le porc sous forme de préparations généralement hachées (bouchées, nem,) ou tranchées finement en sauce. Le principal concurrent sur ce créneau risque du reste d’être assez rapidement le porc artificiel, à base de soja structuré et aromatisé.

Quelle peut donc être une stratégie à moyen-long terme pour le porc français dans ces conditions ?

D’après les dirigeants porcins bretons, il faut profiter du retour à la rentabilité constatée en 2019 pour apurer les dettes mais surtout réinvestir dans les élevages conventionnels (entendre hors sol bâtiment) pour les remettre à niveau de compétitivité (coûts ?) surtout pour l’export.(Réussir Porc de janvier 2020)

L’élevage porcin français présente cependant deux caractéristiques : l’obsolescence des infrastructures, imputable à un manque d’investissement ces dernières années, mais aussi un fort taux d’endettement des exploitations du fait de la faiblesse en fonds propre des exploitants.

Il s’agit de plus en plus d’une activité lourde, très consommatrice d’investissements et de fonds de roulement, la plupart du temps financés par emprunt, sur des exploitations familiales de taille modeste, majoritairement sur le mode naisseur engraisseur.

La compétitivité prix des élevages français conventionnels dans ces conditions parait difficile à atteindre dans les années qui viennent, même sur le marché européen.

Ces mêmes dirigeants bretons restent très prudents, si ce n’est sceptiques, sur la « montée en gamme » qui ne doit « surtout pas impliquer de nouvelles charges de structure ».

Autrement dit « monter en gamme », peut-être, mais sans changer les fondamentaux de l’élevage porcin, le hors sol-bâtiment, la vente à 168 jours, la quête du TMP maximum.

Le résultat de cette position est que 95% des porcs français, au minimum, sont élevés de cette façon à partir de souches sélectionnées essentiellement sur des critères de productivité. Les porcs dit « de montée en gamme », les porcs « label rouge », « bio » et même ceux dits de « plein air », qui ne passent en général que les deux derniers mois de leur courte existence (6 mois) sur des parcours extérieurs ne représente qu’environ 5% de cette production et presque aucune valeur à l’export.

Le reste de la production, qui passe sous les radars des statistiques, recouvre des pratiques très diverses, l’autoconsommation, la vente directe de produits divers très peu contrôlés, de porcs conventionnels à des porcs élevés en plein air en liberté sur des races locales pures ou croisées, gascons, basques, nustrales, blancs de l’ouest, etc…

Cette politique, soutenue autant par les responsables de la filière que par les organisations professionnelles agricoles et les pouvoirs publics limite fortement les diverses possibilités de « montée en gamme » et explique aussi pourquoi, surtout dans le domaine de la salaison, le champ libre est laissé aux italiens et aux espagnols.

La demande finale, celle des consommateurs, évolue et se satisfera de moins en moins de simples annonces marketing.
Même si cette demande peut paraitre parfois contradictoire, elle présente des traits dominants :
-          Production locale
-          Filière courte
-          Procédés de transformation naturels
-          Bien-être animal
-          Etc…

Qu’est-ce qu’un porc haut de gamme ?

Selon Jean-Pierre Poma, directeur du CRITT d’Auch et spécialiste reconnu du jambon sec et de la salaison, plus que la race, les deux éléments essentiels pour la qualité d’une viande de porc sont l’exercice physique et l’âge d’abattage.

Exercice physique dès le post sevrage pour assurer un bon développement musculaire : le plein air intégral et une faible charge à l’hectare s’impose.

Age d'abattage de neuf mois minimum, mais plutôt supérieur à 12 mois, et plus selon les races des animaux concernés, pour obtenir des viandes « faites », à partir d’animaux adultes.

L’alimentation de finition et la race sont deux facteurs complémentaires.

On obtient alors des carcasses lourdes, une viande rouge, persillée, goûteuse et apte, pour les jambons et épaules, à subir un temps de séchage long, de 24 mois et plus.

L’offre pour ce type de produit, en France, est quasiment inexistante et surtout très localisée : porcs Gascons, Basques, Nustrale, Noir du Limousin, Blanc de l’Ouest et de Bayeux, surement moins de 10 000 truies en tout, sur environ 1 millions de truies dans les élevages français.

Les bouchers qui auraient la clientèle pour ce type de produit rencontrent de grandes difficultés pour s’en procurer de façon régulière, ce qui contribue aussi à maintenir un prix élevé. Ceci est principalement imputable à l’absence de filière locale organisée.

Les charcutiers et salaisonniers en sont réduits à élaborer des spécialités locales, jambon de Savoie ou rosette de Lyon par exemple, à partir de porcs bretons, espagnols ou allemands.

L’élevage de porcs de plein air en liberté est pourtant particulièrement adapté aux exploitations familiales polyculture-élevage sur tous les terroirs français, et surtout ceux qui se trouvent en déprise agricole et humaine et ou l’espace est disponible, et ne nécessitent pas de lourds investissements.

Une stratégie cohérente consisterait certes à remettre au niveau de compétitivité-prix le porc conventionnel , en le fléchant déjà sur le marché français (label "le porc français" en pariant surtout sur la loyauté à l'élevage national du consommateur hexagonal), mais aussi à favoriser la création et l’organisation partout en France d’élevages locaux sur des cahiers des charges plus qualitatifs, typés et régionalisés pour alimenter les bouchers et transformateurs locaux et in fine, le consommateur avec des produits correspondants à ses attentes.

Reconquérir, dans un premier temps, le marché hexagonal par la qualité, et repartir peut-être à l’export ensuite sur ce même schéma.