mardi 29 septembre 2015

Les grandes illusions du Ministre de l‘Agriculture


Dans ses dernières déclarations, Stéphane Le Foll, notre ministre de l’agriculture, a ouvertement manifesté sa fureur envers les dirigeants agricoles, et en particulier ceux de UGPVB (Union Générale des Producteurs de Viandes de Bretagne), qui l’ont lâché en rase campagne dans son combat pour garantir un prix plancher de 1,40€/kg au marché du porc breton dont les cours font référence au niveau national, signant ainsi la fin d’une illusion.

Il était évident que ce cours artificiel ne pouvait être tenu dans une conjoncture d’important différentiel de cours avec nos principaux concurrents européens, Allemagne en tête. A cela s’ajoute les baisses saisonnières : tous les ans, en effet, le cours du porc au Marché du Porc Breton de Plérin ( et partout en Europe) atteint son apogée au mois d’août pour ensuite redescendre assez rapidement jusqu’au mois de décembre avant de reprendre une lente ascension à partir de mars.

Le fait que les cours de l’été 2015 ont été en retrait sur ceux de 2014, eux-mêmes en retrait sur 2013, ne signifie pas que la baisse saisonnière d’automne n’aura pas lieu : il faut s’attendre à un cours de l’ordre de 1,10 € à 1,20€ à la fin de l’année, loin des 1,40 € demandés par les représentants des éleveurs et avalisés par le Ministre au mois de juillet.

Selon le MPB, le cours moyen cumulé sur les 9 premiers mois (39 semaines) a été de 1,261€/kg carcasse TMP 56, contre 1,395€ pour la même période de 2014 et 1,487€ pour 2013. Même si le coût de l’aliment a un peu baissé sur cette longue période, le compte n’y est vraiment plus pour la plupart des éleveurs. Pourtant, même à ce prix, le porc français est plus cher que ses concurrents.

Les industriels, qu’ils soient privés comme Bigard, ou coopératifs comme la Cooperl, qui commercent au niveau européen et mondial surtout pour dégager les viandes de fabrication en excédents et importer des viandes nobles (surtout les jambons),dont la France est déficitaire, ne peuvent se permettre de façon durable d’acquérir du porc entre 5 et 8% plus cher qu’au cours européen où achètent (officiellement) leurs concurrents allemands ou espagnols : il en va de leur survie sachant que les marges opérationnelles dans cette activité d’abattage découpe sont très faibles. D’où leur retrait du marché qui n’en est plus un si les cours sont administrés.

La position de l’UGPVB et d’autres dirigeants professionnels de libérer à nouveau le marché était la seule logique pour le sauver et garder ainsi un indicateur de prix de référence même s’il est très imparfait et ne correspond pas aux attentes des éleveurs.

La seconde proposition de notre ministre, celle de la contractualisation, parait elle aussi assez utopique à défaut de précision, peut-être moins au niveau des volumes qu’au niveau des prix. On ne voit pas des opérateurs industriels, liés ou non avec des distributeurs, se lier les mains en prenant des engagements de prix sur des volumes conséquents alors qu’ils restent en concurrence directe sur un marché imprévisible à court-moyen terme.

La seule contractualisation qui pourrait prospérer sur le long terme est celle de la qualité, à se mettre d’accord sur un objectif progressif de montée en gamme, c’est-à-dire de produire du porc de haute qualité, visible par le consommateur et susceptible de dégager enfin de la valeur ajoutée séparément des cours des produits de masse.

Cela nécessite un important travail en amont (choix de races, de mode d’élevage, d’alimentation, d’âge d’abattage, etc.), et un accompagnement des éleveurs, tant sur le plan technique que financier car une telle démarche de reconversion nécessite des capitaux...

C’est dans ce sens que devrait s’engager le ministère, les organisations professionnelles, les centres de recherche, les industriels et les distributeurs.

Qui en prendra le premier l’initiative ?

jeudi 10 septembre 2015

Pendant les manifestations, la baisse des cours continue…. et après ?


En dépit d’une faible hausse de 0,2 ct€ lundi dernier et un petit raffermissement du cours allemand, les cours du Marché du Porc Breton (MPB) de Plérin se sont engagés sur une pente baissière depuis les 1,40 € décrétés par le Ministre au milieu du mois d’août. Ce matin jeudi, le cours s’est établi à 1,376 €. Cette tendance devrait malheureusement se poursuivre dans les semaines et les mois qui viennent, probablement jusqu’à la fin de l’année.(Voir article précédent, ci-dessous)

Vouloir maintenir des cours internes à la France déconnectés des cours européens et mondiaux est une utopie qui ne peut plus tromper personne dans une économie européenne volontairement de plus en plus dérégulée.

Les mesures prises, autant en France qu’à Bruxelles, devant la situation catastrophique et la colère manifestée par un nombre important d’éleveurs n’auront sans aucun doute pour effet que de retarder de quelques mois l’inéluctable : l’abandon de l’activité par des centaines, si ce n’est des milliers d’entre eux, avec une répercussion évidente sur les activités avales d’abattage et de transformation, principalement dans l’ouest du pays.

Les souhaits formulés par le Président de la FNSEA, 3 milliards sur 3 ans pour moderniser les bâtiments agricoles, automatiser les abattoirs ou encore renforcer la productivité des exploitations sont bien flous et fortement teintés de démagogie : qui va payer ? L’Etat qui n’a pas d’argent, Bruxelles qui ne le veut pas par idéologie ou les banques qui ne se risqueront pas à prêter à des éleveurs déjà fortement endettés

Le chiffre de 3 milliards, quant à lui, n’est pas fantaisiste. Dans une étude publiée en 2011 (Quels modèles d’élevage d’avenir pour la production porcine française, parue dans Innovation Agronomique n°17) les économistes de l’IFIP évaluaient déjà entre 2,4 et 2,7 milliards les investissements nécessaires à la mise à niveau de compétitivité des élevages français, à mettre en face des quelques 3,5 milliards auxquels on peut évaluer la valeur annuelle de la production de carcasse.

Cela fixe l’ampleur de la tâche et ne fait que souligner le montant dérisoire de l’aide annoncée autant par le Gouvernement (90 millions d’euros/an sur trois ans) que par la Communauté Européenne (rien !).

Les éleveurs sont laissés à eux-mêmes et à leur désespoir, confiés à leurs seuls responsables professionnels eux-mêmes en plein désarrois. Rappelons que la filière porcine emploi environ 30 000 personnes en Bretagne, aux prises aussi avec la crise du lait, du bovin viande et, à moindre niveau, de celle de la filière avicole.

Les réponses apportées montrent que les pouvoirs publics n’ont pas encore pris conscience de la catastrophe annoncée.

Alors que faire ?

D’abord arrêter de se raconter des histoires, ce qui va être le plus difficile.

Puis prendre à bras le corps la reconversion d’une majorité d’éleveurs porcins qui ne peuvent plus rester dans la course et non pas les laisser continuer sous perfusion jusqu’à l’agonie. Cela concerne aussi l’aval de la filière. Les trois milliards annoncés (un peu hâtivement) par le Premier Ministre doivent servir en priorité à cela et non à aider à la survie d’élevages obsolètes.

Ensuite favoriser l’investissement privé (et pas seulement bancaire) dans les élevages qui ont les moyens de s’agrandir et d’atteindre une taille critique pour rester dans la compétitivité européenne.

Enfin engager une politique de filière sur des bases de montée en gamme, de production de haute qualité gustative et environnementale, de relocalisation sur tout le territoire avec comme objectif annexe la reconquête de zones rurales délaissée, etc…

Oui, enfin une véritable politique industrielle prospective qui ne peut être initiée que par les pouvoirs publics, nationaux et régionaux, qui financent plus ou moins directement des cohortes de chercheurs et techniciens de terrain via l’INRA, les Chambres d’Agriculture et de nombreux organismes de soutien qui jusqu’à présent ne font que diffuser la pensée unique et mortifère du porc industriel.

Cette implication des pouvoirs publics doit nécessairement entrainer celle des agents économiques concernés : distributeurs, industriels de l’abattage et de la transformation, fabricants d’aliment, qui devront cesser leur tactique courtermiste et participer à ce redéploiement stratégique qui peut replacer la production porcine française au premier plan, dégager enfin de la valeur ajoutée et contribuer à la croissance et à l'équilibre de la balance du commerce extérieur.

Au travail !