mardi 16 février 2016

La crise du porc, et après ?

Depuis plusieurs mois on assiste en France à l’explosion d’une très grave crise porcine, et plus largement de l’élevage.

Pour rester sur le secteur porcin, cette crise était inéluctable et donc prévisible depuis plusieurs années (voir nos précédents articles de blog). Si elle atteint tous les producteurs de la communauté européenne, les éleveurs français, et plus particulièrement ceux de l’ouest du pays, paraissent les plus touchés.
Certes, l’élément déclencheur est d’ordre conjoncturel : surproduction européenne menée par l’Espagne et l’Allemagne, renforcée par la fermeture du marché russe pour des raisons politiques (les raisons sanitaires paraissent ne constituer qu’un prétexte), l’un des marchés d’écoulement de la production européenne, surtout de sous-produits (gras, abats, etc…) en ce qui concerne l’élevage français.
Mais pour le reste il s’agit surtout d’une inadaptation structurelle de plus en plus flagrante de l’élevage français, de la primo-transformation (abattage-découpe) et de l’offre.

Les éleveurs questionnés par les médias ces dernières semaines, en grande partie ceux présentés par la FNSEA ou le CDJA, tiennent un discours du genre : on produit un porc de grande qualité (sous-entendu : meilleurs que nos concurrents allemands ou espagnols), on a des performances techniques, on serait compétitif si on ne subissait pas des charges et des normes excessives et il n’est pas question de se consacrer à des marchés de niche, par exemple le porc bio, celui de plein air ou de races locales : de l’auto-intoxication mortifère, hélas largement soutenue par les dirigeants professionnels, la technostructure et la passivité des pouvoirs publics.
Les propos des dirigeants des bonnets roses sont un peu plus réalistes, au moins sur un point, quand ils proposent de globaliser l’offre et de la segmenter autour de trois pôles : le standard, le bio et le label, ce qui serait un début de diversité qualitative.

Quelles sont les causes de la faiblesse de l’offre française ?
- La recherche obsessionnelle de la performance technique au détriment de la performance économique, sur la base d’exploitations familiales de trop petites dimensions.
- La standardisation excessive de la production et des méthodes de production, sous la houlette de trop nombreux groupements: qualité relative, peut être, mais il faut être à même de la prouver pour la valoriser.
- L’hyper-concentration géographique sur quelques bassins de production de l’ouest, ce qui potentialise, entre autres, les difficultés environnementales et donc ... la multiplication des normes.
- Le rejet idéologique de toute démarche de montée en gamme, de toute segmentation sérieuse du marché.
Ces quatre causes cumulées constituent depuis au moins vingt ans la pensée unique du porc, entretenue par tout l’amont de la filière, à quelques rares exceptions (Sud-Ouest, Auvergne…), très largement minoritaires.
Cela a conduit des éleveurs, jusqu’à encore maintenant, juste avant l’aggravation de la crise, souvent jeunes, à s’endetter pour s’enfermer dans des systèmes d’élevage rigides et sans avenir : quand on a construit des bâtiments d’élevage sophistiqués et couteux, performants techniquement mais uniquement conçus pour produire du porc standard, il est impossible d’évoluer vers une production plus qualitative : le bio, le plein air, les races locales à croissance lente, etc…, là où se trouve la nouvelle demande, une moindre concurrence et surtout de la valeur ajoutée.

Marché de niche ? Au début surement, mais ramené à un élevage familial qui produirait deux ou trois milles porcs charcutiers de ce type par an, il n’aurait pas grande difficulté à y intéresser quelques distributeurs locaux, eux aussi en panne de valeur ajoutée et d’innovation –produit. Souvenons-nous de la loi des débouchés du vieux Jean Baptiste Say : l’offre crée sa propre demande ( si l’offre est de qualité, ndlr). Les exemples de réussite sont multiples, dans tous les domaines.

A ce jour, il n'est pas concevable de prévoir une sortie de cette crise par le haut:
Les éleveurs, pris à la gorge, s’en prennent à tout le monde, le gouvernement qui n’a rien voulu voir venir, est désemparé et procrastine comme à son habitude , la grande distribution est muette et toujours sous ses contraintes d’hyper concurrence par le prix et d’accusation d’entente , les industriels ne s’expriment plus car pris dans des logiques de production qui ne peuvent se réduire à l’utilisation exclusive du porc français, les politiques se font discrets, ne savent pas quoi dire ou disent n’importe quoi, le syndicat agricole majoritaire essaye avec démagogie de récupérer un mouvement qui lui échappe de plus en plus, et tout le monde incrimine l’Europe.

La crise porcine et plus généralement de l’élevage est en train devenir une affaire de société. On arrive en fait au bout du bout d’un modèle économique sans aucun avenir lisible et qui annonce surtout la faillite pour de nombreux producteurs souvent endettés et des dégâts sociaux de grande envergure pour la filière industrielle qui lui est lié.
C’est cela que tout le monde va d’abord avoir à gérer, sous différentes formes, dans l’urgence.

Et ensuite ?
Le milieu des éleveurs demande des réformes structurelles. Lesquelles ?
La baisse des charges et des contraintes ? Plus de régulation nationale ou européenne ? La mise en avant du porc français ? Il ne s’agit pas de mesures structurelles !

Si l’on fait du bench-marking , on peut retenir deux voies, qui ont réussi.
- Celle de la compétitivité prix pour la production de porc standard : modèle américain, grandes exploitations, intégration, performances techniques moyennes et souvent un peu dopées, mais bonnes performances économiques sur une base de moins-disant social et environnemental. On peut y raccrocher le modèle espagnol (catalan). C’est aussi le modèle qui s’implante dans certains pays de l’est, en Russie, au Brésil, etc… En France, cela se traduira par la disparition de plusieurs milliers d’élevages de petite taille, surtout de naisseurs –engraisseurs, et peut être un déplacement des élevages vers les grandes régions céréalières…
- Celle de la montée en gamme bien organisée, sur le modèle canadien, type Du Breton, avec une intégration qualitative naissage-élevage-abattage-transformation, modèle bio ou rustique, avec marque commerciale et certifications diverses, modèle que l’on peut retrouver sous des formes moins intégrées au Royaume Uni et en Espagne du sud. Pour cela il faut trouver des opérateurs et surtout des investisseurs de long terme.
On peut aussi imaginer un nouveau modèle français, régional, bio, races rustiques de plein air… adapté à des exploitations familiales de petites et moyennes dimensions. Pour cela il faudrait mettre en place des outils d’organisation… qui n’existent pas.

Si l’on veut conserver une activité porcine en France, rentable et pourquoi pas prospective, il est absolument nécessaire non pas de se mettre autour d’une table pour défendre des intérêts corporatistes à court terme, mais réfléchir sur le long terme. Qui donc, hormis les pouvoirs publics et peut-être les secteurs les plus éclairés de l’interprofession, de l’élevage à la distribution, peut initier cette indispensable démarche ?