jeudi 15 mai 2014

A propos du porc en Corse.


La Corse produit une charcuterie d’une qualité reconnue : le prisuttu, le lonzu, la coppa, les figatelli ne laissent indifférents que ceux qui n’y ont jamais gouté.
Il est vrai qu’il est difficile de trouver ces produits en dehors de la Corse et que la plus grande partie de la production charcutière de l’ile prête à confusion si ce n’est à polémique à propos de l’appellation « charcuterie Corse ».


Sèche de prisuttu, salaisons de l'Aziana, Bastelica.


La qualité de la charcuterie corse est liée à deux facteurs :
- un savoir-faire perpétué par des générations de charcutiers-salaisonniers artisanaux, souvent installés en altitude, dans la montagne corse, là où l’air est à la fois pur et d’une hygrométrie stable.
- Une production locale de porcs de souche ibérique, dénommée « nustrale », élevés en liberté dans le maquis et la montagne, à croissance lente, abattus à environ 18 moins en hiver après avoir passé deux saisons en estives. Cette technique d’élevage se rapproche de celles pratiquées par les producteurs des fameux « pata negra ibérico » d’Estramadure et d’Andalousie.

Pour obtenir une véritable charcuterie corse, ces deux facteurs doivent en principe être cumulés: la charcuterie corse doit être confectionnée sur l’ile, selon les méthodes traditionnelles à partir de porcs élevés en Corse et de race Nustrale.

L’ensemble de la charcuterie corse commercialisée, soit environ 12 000 tonnes /an, est loin de correspondre à ces critères de qualité, pour de multiples raisons :

La production de porcs de race nustrale, ou du moins de porcs élevés en corse en liberté, peut être évaluée à environ 25 000 animaux, soit environ 1 500 tonnes de charcuterie. Les chiffres sont imprécis du fait de la dispersion de la production et de la transformation « à la ferme » entre de nombreux éleveurs qui ne sont pas tous organisés. Cela représente environ 10% de la production totale de charcuterie.


Porc nustrale en race pure, Alta Roca

Les charcutiers-salaisonniers, industriels ou plus souvent gros artisans, doivent donc, pour satisfaire la demande, travailler des carcasses ou de la découpe de porcs en provenance de France ou d’Espagne, porcs de races conventionnelles élevés généralement en batterie et abattus à 6 mois. Cela n’est pas répréhensible en soit, et la transformation de ce type de viande par des fabricants corses selon les méthodes traditionnelles donne souvent des produits quand même assez typés.

Les difficultés proviennent essentiellement de l’identification des produits et de leur prix de vente : il est certain que l’imprécision d’étiquetage favorise la tromperie et la concurrence déloyale, au détriment surtout des éleveurs-transformateurs respectant la tradition... et des consommateurs qui ne savent pas ce qu’ils achètent.

Ceci étant posé, les réponses à apporter sont loin d’être simples, autant à concevoir qu’à mettre en œuvre.

D’abord, il faut se mettre d’accord sur la définition de la race Nustrale.

A l’initiative de quelques éleveurs passionnés, une démarche a été entreprise il y a plus de quinze ans qui a fini par déboucher sur sa récente reconnaissance officielle par la section porcine de la commission nationale d’amélioration génétique, sur la base de 25 lignées (mâles) et de 30 familles (femelles). 25 éleveurs-sélectionneurs travaillant en réseau sont chargés de fournir porcelets et reproducteurs. En théorie, la question est donc en voie de résolution. En théorie seulement car plusieurs problèmes sont apparus.

Certains des initiateurs du départ ont récemment quitté le groupement, trouvant que la sélection avait été trop rapide, rendant les lignées présentant des caractères peu stables dans la durée (taille, couleur, etc…).

Par ailleurs de très nombreux éleveurs pratiquants l’élevage traditionnel de plein air ne disposent pas pour l’instant de troupeaux suffisamment homogènes. Il suffit de regarder ceux-ci pour constater encore la présence de souches large- white, duroc ou autres. Cette présence est compréhensible et il est nécessaire de laisser du temps, sans doute une dizaine d’années, pour obtenir des élevages homogènes, si tant est que la volonté persiste.

Troupeau en liberté, de races mélangées, Vallée du Golo

Enfin la maladie des châtaigniers, qui atteint gravement les forêts de l’ile, diminue la ressource alimentaire naturelle des animaux et oblige les éleveurs à acheter à l’extérieur de l’aliment en quantité croissante ce qui obère d’autant les résultats économiques.

Au niveau de la transformation, la situation est aussi complexe.

Une initiative collective a débouché en 2012 sur la reconnaissance de trois AOC concernant le prisuttu (jambon), le lonzu et la coppa sous la domination « charcuterie corse ». Le cahier des charges stipule que, outre la fabrication sur l’ile selon les techniques reconnues, la viande mise en œuvre doit provenir exclusivement de porcs de race nustrale élevés en plein air. De nombreux éleveurs, qui ne disposent pas encore de troupeaux homogènes, ne peuvent donc (ou ne veulent…) pas rentrer dans l’appellation. Ce ne sont pas nécessairement les plus mauvais. Sur 300 éleveurs insulaires, seuls 80 sont entrés dans la démarche AOC.

D’autres, trouvant la démarche trop contraignantes, ou seulement prématurée, se sont réunis autour d’une démarche « Label Rouge », qui aurait pour avantage de permettre la fabrication de charcuterie corse à partir de troupeaux non homogènes.

La difficulté est que l’utilisation de l’appellation « charcuterie corse » est réservée à l’AOC… et que l'obtention d'un Label Rouge est une démarche longue et demande une bonne entente.

Les salaisonniers quant à eux, qui fabriquent essentiellement à partir de porcs industriels élevés sur le continent, ont fait une demande d’IGP « charcuterie corse » qui couvrirait les produits élaborés en Corse à partir de viandes importées.

Bref, tout cela est assez compliqué, sur fond de particularisme et d’individualisme lié aussi aux distances à parcourir pour se rencontrer entre éleveurs, aller à l’abattoir, etc… sur des routes corses !

Cela illustre d’une certaine façon les limites des démarches de qualité avec reconnaissance officielle qui sont difficiles, longues et couteuses à obtenir et à mettre en place et qui s’imposent alors à tout le monde sur des bases souvent assez restreintes et exclusives.
Pourquoi alors ne pas se lancer, seul ou en petit groupe d’éleveurs homogènes et peut être aussi d'un abattoir et de charcutiers-salaisonniers, autour d’une certification privée accompagnée d’une marque commerciale ?

Les points les plus importants, concernant les races de porcs, les conditions d’élevage, d’alimentation, l’âge d’abattage, le mode de transformation traditionnelle, pourraient être garantis par une certification et promus par une marque collective, ce qui constitue une démarche plus rapide et moins couteuse.

Celle-ci permettrait de plus de faire évoluer plus facilement dans le temps les critères de certifications en fonction de l’évolution de l’environnement économique technique et commercial.


Sauveur découpe de fines tranches d'un fameux prisuttu

vendredi 4 avril 2014

La recette du Professeur Dufumier : des porcs en Beauce et des céréales en Bretagne.

Dans son livre paru en 2012, « Famine au Sud et Malbouffe au Nord », Marc Dufumier, Ingénieur agronome, professeur émérite en agriculture comparée à l’Agro Paristech et expert de réputation mondiale en matière de ressources alimentaires, propose de redistribuer aussi bien la production porcine (et les autres activités d’élevage) que celle de céréales entre régions, au lieu et place d’une hyperspécialisation, les unes dans l’élevage, les autres dans les grandes cultures.
Concernant la Beauce, ou encore la Brie ou la Picardie, grenier à blés français, il pose cette question : « Combien de temps ces régions pourront-elles encore maintenir ce déséquilibre écologique qui empêche la fertilisation organique des sols-et donc impose l’usage massif d’engrais de synthèse-, qui voit les nuisibles se multiplier-comme ces pucerons qui prolifèrent depuis que les coccinelles ont été éradiquées- ,qui a supprimé toutes les prairies temporaires et cultures de légumineuses fourragères- ce qui oblige à importer massivement du soja transgénique américain ou brésilien ? Bref, un déséquilibre qui, chaque jour, augmente les coûts de production. »
Et de continuer :
« A l’inverse, la Bretagne ne pourra tenir éternellement sans produire à nouveau des céréales afin que les animaux puissent reposer tranquillement sur des litières : ainsi pourra-t-elle produire de nouveau du fumier et fertiliser naturellement ses sols… sans polluer les nappes phréatiques. »
Pour finir
« Et les producteurs du Béarn, n’auraient- ils pas intérêt à mettre fin à leur monoculture (de maïs) en cultivant, par exemple, des variétés locales de haricots sous ombrage de leur maïs en plein champ comme le font déjà certains agriculteurs pour leur consommation personnelle (de cassoulet, bien sûr…) ? »
Elargissons le propos : l’élevage porcin n’est pas uniquement réservé à la Bretagne comme la culture céréalière à la Beauce ou à la Brie. Pourquoi ne pas réoccuper de larges espaces ruraux de plus en plus abandonnés, dans le Massif Central, le Grand Nord-Est et le Grand Sud-Est (liste non exhaustive mais cela fait déjà de l’espace…) à des activités mixtes : des porcs en engraissement extensif sur des prairies artificielles semées de méteils, alliant céréales et protéagineux. Le rendement ne se calculerait pas en fonction du cours des céréales sur le marché de Chicago ou celui du porc sur le MPB, mais par le prix que le consommateur accepterait de payer pour un produit de qualité qu’il pourrait voir gambader dans les champs…..
Sans doute un rêve….

mardi 4 février 2014

Stratégies allemandes

Tönnies Flesch est le plus important abatteur de porcs en Allemagne, et le n°3 européen. Avec 15,3 millions de têtes abattues, il est devancé par le danois Danish Crown (22,4 Mt) et le hollandais Vion (20,9 Mt) (2010) mais laisse loin derrière les deux leaders français Cooperl et Bigard, avec leur 5 Mt chacun.
Tönnies est aussi le premier exportateur européen vers la Chine et la Russie.

Ce qui caractérise Tönnies Flesch, c’est qu’il s’agit d’une société familiale, crée en 1971, installée au sein de la première région productrice de porcs en Allemagne, la Basse Saxe, et le moins possible impliquée dans les activités d’élevage ou d’alimentation animale. Au contraire de la plupart de ses concurrents (à l’exception de Bigard), d’origine coopérative et donc plus ou moins soucieuses des intérêts de ses mandants, éleveurs et cultivateurs, Tönnies pratique une politique pure et dure d’industriel de l’abattage et de la viande.
Aussi est-il intéressant de se pencher sur sa stratégie industrielle… et de s’en inquiéter.

Tönnies est le premier employeur de personnels d’abattoir en Allemagne et celui qui a le plus trainé les pieds pour accepter de pratiquer un salaire minimum (de 8,5 €/heure aux dernières nouvelles, et à partir seulement de 2016), trouvant nettement plus rentable de se faire mettre à disposition par des entreprises spécialisées des travailleurs d’Europe de l’est notoirement sous-payés et dans des conditions de vie précaires, permettant ainsi une concurrencer avec succès les abattoirs français, mais aussi danois, belges, hollandais, etc…

Les achats de porcs de Tönnies pèsent directement sur les cours allemands et plus largement européens. D'autant plus qu'il est souvent pratiqué par les abatteurs allemands un prix d’achat réel inférieur au prix AMI (équivalent allemand du MPB).
Or Tönnies étant très engagé à l’export, ses achats dépendent directement de ces débouchés, qui peuvent eux même être rapidement fermé, comme c’est le cas actuellement avec le Russie, ce qui a conduit ces derniers jours à une baisse des cours européen pendant une période généralement de hausse.

Mais le plus important ne réside pas dans ces pratiques, somme toute assez fréquentes dans le secteur.

Tönnies investi massivement en Russie : Objectif d’un million de porcs produits sur une dizaine de méga-fermes pour alimenter un abattoir de 100 000 tonnes. 8 installations, de 65 000 porcs en moyenne chacune, fonctionnent déjà.

Pour ce faire, il s’est associé avec deux autres sociétés, KTG Agrar, spécialiste de l’exploitation de grande culture (39 000 hectares exploités en Allemagne de l’Est, en Lituanie et récemment en Russie) et RKS, spécialisée dans la production intégrée de porcs dans les nouveaux Länder allemands, avec la probable bénédiction du géant de l’énergie GASPROM.

Selon le site SOCOPAG, qui a publié l’information au mois d’octobre, ces investissements inquiètent les milieux syndicaux agricoles allemands qui y voient, à juste titre, une menace sur leur activité. Tönnies, en s’affranchissant d’une partie de son sourcing allemand (et danois et néerlandais) pour approvisionner le marché russe ne manquera pas de peser sur les cours internes à l’UE.

En outre, la maitrise progressive de méga –installations, installées au milieu de vastes domaines de grandes cultures dans l’est de l’Europe, Pologne, Roumanie, Ukraine, par des opérateurs allemands mais aussi américains (Smithfield, repris par le groupe chinois Shuanghui) et autres ne manquera pas de venir un jour ou l’autre concurrencer les éleveurs ouest européens.

Le modèle économique qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, orienté principalement au bénéfice des éleveurs et des producteurs d’aliment,est à bout de course et risque donc de voler en éclat s’il persiste à vouloir concurrencer des méga-installation industrielle avec des méthodes artisanales.Et on ne voit malheureusement pas pour l'instant ce qui pourait le remplacer, faute de réflexions stratégiques.