jeudi 18 janvier 2018

Le saucisson de Belley

Dans un petit ouvrage paru en 1892 sous le titre  "La Table au pays de Brillat-Savarin", son auteur Lucien Tendret, alors avocat à Belley (01), consacre tout un chapitre à la charcuterie et plus particulièrement au "saucisson de Belley", dont j'en transcrit ci-dessous un extrait.

Chapitre V
 LA CHARCUTERIE
le Saucisson de Belley

"Ah! la bonne chose que ce saucisson"
Voltaire, Lettre à M. le marquis Albergati Capacelli

" La charcuterie de Belley était autrefois renommée, mais on a introduit dans le pays une race de porcs blancs, dont la chair fadasse ne donne que de mauvais produits.
Anciennement, dans les maisons bourgeoises, les saucissons étaient préparés avec des soins minutieux. Ce travail s’appelait baconage, du vieux mot français bacon signifiant porc. On se délectait des boudins délicats faits de crème onctueuse et de consommé savoureux mêlés au sang pur de la victime immolée. Ces boudins exquis, on ne les trouve plus, car aujourd’hui le sang est frelaté comme le vin.
Pour avoir de la bonne charcuterie, il faut choisir des porcs noirs, de l’espèce ancienne du Bugey ou du Dauphiné. S’ils sont nourris d’herbes cuites, de feuilles de légumes, de déchets de cuisine, d’eaux grasses et de son, leur chair sera molle, sans saveur et de couleur grise ; mais elle sera ferme, sapide et rouge s’ils sont engraissés de pommes de terre cuites, d’orge grossièrement moulue, de féveroles concassées, de maïs, de sarrasin, de glands, de châtaignes, d’avoine et de farine de seigle.
Les saucissons doivent être fabriqués pendant l’hiver, par un temps frais et sec. On baconne dans une chambre non chauffée, mais si la viande subissait un froid trop rigoureux, elle resterait pâle et n’aurait jamais la couleur rose, un des attraits de la charcuterie.
La viande du porc est choisie sur des tables ou des planches, appropriées et frottées d’ail comme les vases employés.
Dans un vieux manuscrit daté de 1798, je lis cette phrase : « Les personnes qui choisissent la viande ne doivent avoir aucune indisposition », c’est-à-dire « les femmes doivent être en état de grâce ».
Le saucisson de Belley est un produit d’origine italienne ; il ressemble à la mortadelle de Bologne, mais il lui est supérieur, si la fabrication est réussie.
Pour avoir six saucissons d’environ deux livres chacun, il faut au moins soixante livres de viande prise de préférence dans les quartiers de derrière et dans les filets du porc.
On sépare d’abord la viande maigre du lard gras ; on choisit ensuite, si je puis m’exprimer ainsi, ce qu’il y a de plus maigre dans le maigre, et avec un couteau dont la lame est affilée et pointue, on enlève, en raclant dans les morceaux de chair, les filaments, les nerfs et les plus petites parcelles de graisse ; cette séparation minutieuse des parties maigres et des parties grasses est importante, car si elle est mal faite le goût des saucissons sera complètement modifié.
On met cette viande triée, et déjà réduite en pâte, dans un vaste plat de terre appelé vulgairement conche, celle séparée est mise dans un autre plat de même dimension, et on l’utilise pour des cervelas et des godiveaux.
Les saucissons sont faits avec la viande de premier choix ; on la hache en quantité de cinq cents grammes à la fois, jusqu’à ce qu’elle soit réduite en une pâte homogène, lisse et très fine ; avant chaque opération, on nettoie la table ou la planche sur laquelle on hache et on la frotte d’ail ; il faut aussi essuyer souvent la lame du couteau à hacher, car elle est bientôt recouverte de graisse restée dans la viande choisie."

Le porc du Dauphiné, ou celui du Bugey, ne sont plus hélas que de lointains souvenirs .
Quant au saucisson de Belley....

A suivre.

La Table au pays de Brillat-Savarin, Edition HORVATH, 1892. Réédité en 1986 par les Editions Horvath, 42120 Le Coteau. ISBN 2-7171-0411-9

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